La chasse en forêt au grand gibier est à un tournant historique de son déclin, pour les mêmes raisons que l'a été, fin des années 60, la chasse en plaine au petit gibier : l'argent, pardon la course au rendement, l'exploitation intensive qui a vu une restructuration foncière des exploitations agricoles par le remembrement, l'arrivée des tracteurs et des machines agricoles, la fertilisation des sols et la protection chimique des plantes, avec "le bonheur" que nous connaissons aujourd'hui, en termes environnementaux et de santé.
Presque cinquante ans plus tard, à Urmatt, fief de scieurs, cela a été au tour de la forêt de devoir s'aventurer vers l'exploitation intensive, selon le mot d'ordre donné par Nicolas Sarkozy, à tous les acteurs concernés. En bon élève, aujourd'hui on dirait "en premier de cordée" l'Alsacien n'a pas traîné avec en 2014 un taux de prélèvement net en forêt (mortalité des bois déduite) de 71%, alors que la moyenne en France est de 50%... Aujourd'hui, les orientations, les stratégies et les acteurs sont en place autour de l'interprofessionnelle FIBOIS Alsace, sise dans les locaux de la Chambre d'Agriculture, forcément. Ne reste plus qu'à couper, pardon à lâcher les abatteuses à 500.000€ pièce, les tracteurs forestiers, construits par les mêmes fabricants que pour l'agriculture forcément, à développer via le subventionnement évidemment, les filières, notamment de production de granulés prête à déverser sur le marché plus de 120.000 tonnes de matière.
Il fut un temps où le vieillissement du bois était la priorité et le martelage ignorait tout chêne avec un diamètre inférieur à 100 cm. De 100 on est passé à 70, bientôt 60 et l'industrie de la papeterie à la charpente réclame du 6-7 à 40 ; quant au gros bois résineux blanc, le sapin et l'épicéa > à 50 cm, il est boudé par le marché des scieurs (trop de défauts, de nœuds, donc perte de rendement).
Dans ce contexte, si l'homme, pense toujours encore que "la forêt, c'est la vision de la nature", alors la société est mal barrée et le fait de parler de "forêt durable", n'est qu'un effet de marketing des temps modernes, une niaiserie de plus pour berner les "idiots utiles" pour qui nous sommes pris. Comme au Salon de l'Agriculture, grande messe des bisounours et du marketing agro-industriel sur fond de bio, santé, circuits courts où l'interprofessionnelle agricole et agro-industrielle veille à ne pas se faire dépasser par des initiatives individuelles, passionnées, pures et honnêtes, la préservation du patrimoine forestier n'est qu'un habillage. L'objectif est de rentrer des sous dans un Etablissement Public dans le rouge, sommé par Emmanuel Valls et la Cour des Comptes en 2014 de revenir vers l'équilibre financier. Alors comme pour les grands distributeurs ou les coopératives de l'alimentaire revenus pour "marger grave" et reprendre les parts de marchés pris par les "rustauds" des AMAP début des années 90, il faut "raconter de belles histoires".
La réalité, c'est que la forêt est en mauvaise santé pour des tas de raisons et je ne suis pas sûr que les experts des différents camps savent réellement où il faut aller pour le long terme. Dans ce sens, comme un arbre sur deux est malade, à court terme le "pillage" peut certainement être entendu par tout le monde, y compris sous son angle économique, la forêt faisant travailler 450.000 personnes et rapportant 60 milliards de chiffre d'affaire. Mais je doute que l'objectif premier soit actuellement de "soigner" la forêt, quand on voit les essences alignées en bords de chemins en attente de vente ou de transport. Il est de "piller" ce qui est demandé par le marché et ce dont les centrales de cogénération et de biomasse ont besoin pour tourner. En clair c'est l'industrie qui dicte les règles du jeu et oblige à couper pour approvisionner et respecter les contrats signés.
Nous sommes dans l'ère de l'exploitation intensive de la forêt, avec tous les aspects négatifs à court-moyen-long-terme. Lorsque le remembrement agricole a été mis en place, ce sont 750.000 kms de haies qui ont passé sous la main de l'homme. Dans quelques années, ce qui était de la forêt sera peut-être un champ de miscanthus, une coupe à blanc pour faire du bio-carburant, un alignement d'arbres à croissance dopée tenu par un fond d'investissement ou une ferme photovoltaïque. Si je regarde tout ce qui se dit sur le futur de la forêt et je la place sous la lorgnette de l'argent, la forêt n'a pas d'avenir avec ou sans gibier.
Deux causes a priori irréversibles entraînent la forêt à sa perte de rendement :
- des causes naturelles, en l'occurrence la sécheresse grandissante et les insectes
- les activités humaines et leurs effets : la pollution de l'air (azote,soufre) en lien avec la circulation routière, les émissions de certaines industries, l'élevage industriel.
Mais il existe encore une troisième raison peu mise en avant, la détérioration des sols forestiers, à l'image de celle des champs. La cause ne serait pas la chimie et le machinisme, mais l'exploitation précoce du bois qui prive le sol des oligo-éléments nécessaires à la deuxième génération de plants et les rend plus sensibles à la sécheresse et aux attaques, cf le lien ci-après, extrait du documentaire : "Mal-hêtre : enquête sur la forêt française".
Alors, la perte de rendement (1) est-elle vraiment à charge du gibier ou n'est-elle pas plutôt à voir simplement du côté de la conduite des peuplements par les propriétaires et les gestionnaires des forêts ? Vous avez dit pipeau ?
http://www.pijouls.com/blog/wp-content/uploads/2017/04/Entretien-avec-Bruno-Gratia.pdf
(1) Pour l'ONF , les produits de la chasse, de la pêche et des concessions s'élèvent à environ 60 M€ et représentent 20% du C.A. externe des forêts domaniales; la pression exercée par le gibier sur la forêt est estimée quant à elle de 15 à 20M€ pour une recette de location de près de 32M€