Pour analyser un marché, vous avez l'approche macroéconomique et l'approche microéconomique d'une situation. Soit vous faites une analyse par l'ensemble, soit vous retenez un point particulier et en faites une analyse à petite échelle.
Les décisions prises ces derniers temps dans le dossier sanglier tiennent davantage d'une analyse microéconomique que macroéconomique. Cependant, vous ne pouvez comprendre la situation désastreuse actuelle et surtout l'absence de résorption des dégâts après dix ans de prise en compte du problème, que si vous tenez compte de l'ensemble des facteurs. Prendre des mesures proches des revendications du monde agricole peut se défendre, mais n'est qu'une autre forme "d'acheter la paix sociale", comme le fait le FIDS 67, depuis des années, en acceptant des prix d'indemnisation des denrées agricoles supérieurs au barème national. Elles ne sont en rien des mesures pour arrêter les déclencheurs des causes.
Par contre, vouloir faire plier les tenants du sanglier ressource, soit ceux qui exploitent commercialement leurs chasses ou réservent au maximum leurs sangliers pour quelques battues "spectaculaires", comme le souligne le Président de la Fédération des Chasseurs du Haut-Rhin, demande de faire une analyse complète des raisons ou du système "producteur" du fléau.
Toutes les mesures annoncées existent déjà depuis des années, mais ont toujours "foirées" par le passé : l'injonction d'agir, la battue administrative, le risque de rupture de bail ou de non-reconduction par la commune. Si vous avez lu le courrier du FIDS 67 joint dans mon article de hier "Pas convaincu du tout, mais ne demande qu'à l'être" vous en avez l'illustration. C'est un constat d'impuissance réel, assez accablant par ailleurs.
A l'image de ce qui se passe en France, où tout le monde constate que nous avons toujours l'arsenal juridique pour agir, mais que nous ne l'appliquons pas, les acteurs du dossier sanglier ont tous les moyens pour mettre au pas les locataires dits "défaillants-désinvoltes ou négligents", mais il y a toujours un ou plusieurs maillons faibles qui dysfonctionnent.
Si vous regardez du côté du calendrier des actions administratives et des instances, vous constatez que chaque année les mêmes procédures se répètent :
- au printemps-été : publication par arrêté préfectoral des listes des points noirs à partir des dégâts, avec des obligations de "reporting" des résultats
- à la rentrée : publication par arrêté préfectoral des lots susceptibles de faire l'objet de battues administratives.
- en parallèle, vous avez deux courriers de situation du FIDS 67 sur l'état des lieux, adressés à ses membres et des courriers "personnalisées" ou des réunions de secteur avec les adjudicataires.
- enfin, vous avez la Fédération qui selon l'état de crise lance des messages d'alerte à travers son journal de communication avec tous les chasseurs.
- au milieu, les agriculteurs font monter la "mayonnaise" au printemps et à l'automne au moment de faire entrer en négociations tarifaires avec le FIDS 67, leurs représentants syndicaux.
Cette manière d'agir, appelons là, "celle du parapluie", consiste pour chaque organe à rappeler les obligations de chacun, mais sans réelle volonté d'agir. C'est comme en matière d'éducation des enfants "un doux gazouillis qui entre dans les oreilles des chérubins, sans avoir d'effets, car répétitif". C'est que derrière, vous avez du lourd, des intérêts, des "jeux de barbichette", des réseaux, bref des coulisses où tout est possible. Et puis, vous avez, bien sûr la puissance de l'argent, en interne comme le souligne encore une fois très pertinamment et courageusement le Président de la FDC 68 : « Ces gens-là se fichent de payer pour les dégâts, d’autant qu’une partie est mutualisée : leurs moyens sont considérables ».
Si réellement face à la situation explosive, où tous les acteurs n'ont pas forcément compris tous les enjeux, notamment ceux de 2015, la volonté est à l'équilibre agro-cynégétique par une chasse raisonnable du sanglier, quelques mesures bien ciblées suffisent :
- donner les moyens aux chasseurs "protecteurs des cultures" d'obtenir du résultat par le tir de nuit avec source lumineuse en toute confiance, pendant les périodes de dégâts aux prés, des semis jusqu'à la récolte du maïs. En cas d'infractions, la plus grande sévérité est de mise.
- dans les grandes surfaces de maïs d'un seul tenant, remplacer la franchise de 3 ou 5% par l'obligation de percer des layons pour y placer des miradors avec possibilité de recours au goudron. Tous les postes sont à soumettre à déclaration
- allonger l'heure légale de tir en forêt d'une heure
- autoriser le tir de nuit en forêt en période de pleine lune et de neige
- limiter l'agrainage linéaire en période de "dangers" aux secteurs uniquement exposés aux dégâts, y interdire le tir et autoriser l'apport journalier
- revenir à la chasse appât véritable par la dépose de petites quantités à des postes fixes, sans agrainoirs automatiques (après réduction des populations lors des battues d'hiver)
- obliger en plaine à revenir vers une chasse traditionnelle, celle qui consiste à faire le pied par temps de neige, tout particulièrement dans les secteurs sensibles
- mettre en place les préconisations du Plan Borloo, en particulier le zonage des espaces de bauge du sanglier autour des zones de dégâts "historiques"
- supprimer la triple mutualisation des contributions complémentaires, en écartant les territoires non boisés jusqu'à 50 ha
- instaurer le bracelet "battue" intemporel à un tarif adapté à la hauteur du déficit enregistré à la fin septembre
- promouvoir le recours aux produits répulsifs, possibilité absolument non utilisée jusqu'ici (on pourrait d'ailleurs le faire dès aujourd'hui)
- instaurer le principe de la battue administrative aveugle
- promouvoir le recours aux battues concertées
- rétablir le tir à la chevrotine dans les chasses de plaine en secteurs à risque, à la convenance ou non de l'adjudicataire
- établir un reporting détaillé des tableaux (affût du soir-affût du matin-tir de nuit-battues-pied)
- en cas de non-effort de dissuasion constaté en plaine par les agriculteurs, mise en place d'autorité de produits répulsifs aux frais de l'adjudicataire
- permettre une représentativité égale des chasseurs de plaine dans les instances du FIDS 67
- limiter le recours aux procurations à deux pouvoirs aussi bien dans les statuts du FIDS que de la FDC 67
- avancer la date de l'AG de la FDC 67 à la rentré scolaire
- mettre l'AG intermédiaire du FIDS constatant la hauteur du déficit à fin septembre
- pour la présente saison, prise en charge des dégâts des lots de plaine ayant fait un travail de dissuasion réel par la FDC 67, en cas de maintien par le FIDS 67 de la mutualisation des contributions complémentaires par surfaces non boisées
Pour ce qui est des clauses du futur cahier des charges des chasses communales, je renvoie à mes articles antérieurs traitant du sujet. Là aussi, l'approche macroéconomique du dossier est à faire, car les conséquences peuvent être "meurtrières" pour l'une ou l'autre partie.
L'ensemble de ce dispositif tient dans la cohérence, car il touche d'une manière ou d'une autre les quelques problèmes de fonds véritablement à la base de l'explosion des densités :
- le lobbying à partir de l'an 2000 qui a mené à la mutualisation des dégâts par la création des Fonds d'Indemnisation et par extension à la réduction sensible des coûts des chasses de sangliers en forêt et à l'augmentation des recettes
- le clientélisme et les jeux d'influence
- la concentration des pouvoirs
- la qualité cynégétique de nos chasseurs
- l'effritement des relations entre les différents acteurs
- le cumul, voire le mélange des mandats
- l'explosion de la communauté des chasseurs entre ceux proche des zones à dégâts et ceux éloignés des zones à dégâts, entre chasseurs de grand gibier et de petit gibier
- la perte de crédibilité des chasseurs.
La problématique n'est donc pas chez les sangliers, mais bien chez les hommes. Personne ou aucun acteur dans son coin ne parviendra à imposer sa solution ou représentation à l'autre. On ne peut revenir sur le passé, soit le 1,5 million de dégâts et l'absence de pression de chasse en 2012, mais on peut s'inspirer de ses erreurs. Je le redis, aucun des acteurs n'est totalement irréprochable dans cette histoire, de certains chasseurs de base aux Ministères à Paris.
Les analyses, les moyens nous les avons, c'est, comme pour la relance économique de notre pays, juste la confiance les uns envers les autres qui manque pour mettre en place la "boîte à outil", sans surenchères.