Encore une fois, je lis, j'écoute, je discute, j'analyse les faits avant de me lancer dans une réflexion sur ce blog.
Ce qui me dérange grandement aujourd'hui, c'est le détournement de sujet qui est en passe de se produire devant l'hyper-médiatisation de la problématique des dégâts de sangliers. Comme déjà souligné, un chasseur qui se respecte a comme premier souci d'avoir du gibier naturel sur son territoire, pas de détenir des hectares pour y exercer un droit de chasse. Tout ce qui relève de l'artificialisation de la chasse appartient donc à un autre univers, celui de la chasse de tir, de la chasse récréative, sans aucun rapport avec le chasseur gestionnaire et protecteur. François Sommer avait en son temps parfaitement analysé les problèmes cynégétiques de la France, " la chasse n'est pas un simple divertissement, ce doit être une passion, un apostolat, où l'on donne plus qu'on ne reçoit et où chacun doit penser qu'il s'agit d'un capital à sauvegarder , dont on n'a le droit de prélever que le revenu". (Jours de Chasse n° 52). Ce qui au siècle dernier était encore possible de réaliser parce que les biotopes étaient encore accueillants et suffisamment nourriciers pour une faune sauvage petite ou grande en quantité, ne l'est pratiquement plus ou de moins en moins aujourd'hui. Nos forêts ne "produisent" plus le couvert pour les ongulés et la plaine n'offre plus les biotopes à la survie de la plume et du poil.
Dans ces conditions que reste-t-il comme solutions à un chasseur pour encore avoir du gibier sur un territoire ? La galinette cendrée en territoires cultivées ou l'agrainage en territoires forestiers.
Si en plaine, le lâcher de cocotte ne peut produire de la sur-densité, car soit elle est tirée très rapidement après l'ouverture des caisses, soit elle disparaît sous les crocs des renards et autres prédateurs, soit elle meurt par inadaptation à la vie sauvage, il n'en va pas de même dans les massifs boisés.
Agrainé dans une forêt inhospitalière, l'ongulé peut survivre et se développer. Et dans cette catégorie des champions de la survie, le sanglier est le plus prolifique. Hélas pour lui et son chasseur, il est difficile de le cantonner en permanence à l'agrainoir et de contrôler sa forte capacité de reproduction et d'adaptation. Inexorablement, notre omnivore va provoquer des dégâts, des "incivilités" dans les lotissements construits sur ses territoires et des chocs sur les routes traversant ses déplacements. De gibier noble, il devient donc nuisible aux yeux des hommes.
Pour peu que le chasseur, en particulier chez nous en Alsace/Moselle paye un prix élevé un simple droit de chasse, que déjà la spirale infernale est enclenchée : beaucoup de sangliers = rentrées pour couvrir les frais = obligation d'assurer des tableaux pour attirer et garder des parts payantes sous toutes ses formes légales ou illégales = rupture de l'équilibre agro-sylvo-cynégétique.
D'un autre côté, si demain, il est fait la peau du sanglier, comme cela semble se dessiner, la majorité des chasses en Alsace et d'ailleurs n'auront plus d'intérêts.
Paradoxalement, devant l'immensité du coût des dégâts, si le sanglier n'est pas diminué dans sa densité, les chasses exposées aux dégâts où à la cause des dégâts ne trouveront plus preneurs.
Telle est l'équation à résoudre par les différentes parties. D'ici que nos forêts ou plaines soient à nouveau suffisamment nourrissantes ou accueillante pour une faune chassable, notre génération de chasseurs aux cheveux gris et la génération qui nous succède aura cessé de chasser, si tant soit peu la conscience que nous détruisons notre environnement plus vite que nous le sauvegardons prenne un jour le dessus sur le productivisme et son dieu "la croissance".
Mais à la limite, la vraie question qui se pose aujourd'hui pour le chasseur n'est même pas là. Si dans sa passion et son utopie de chasseur protecteur, si cher à François Sommer, il devait malgré tout être prêt à assumer le risque financier des dégâts pour avoir un "capital" de gibier suffisant à gérer, le retour sur investissement est tellement destructeur qu'il n'irait au bout de sa passion.
Devoir payer des milliers d'euros pour indemniser le monde agricole pourrait encore tenter de nombreux chasseurs, mais à une seule condition qu'ils aient un retour simple sur investissement : pouvoir jouir de leur territoire en toute quiétude, au sens de l'article 1719 du code civil (cf article du 27.6. "la chasse à la croisée des chemins qui mènent à l'hallali".
Revenir vers un certain équilibre agro-sylvo-cynégétique en fonction de la capacité d'accueil d'un territoire, un bon chasseur sait le faire. Par contre, maîtriser la nature devenue récréative, il ne le pourra.
Donc si je regarde, j'écoute, je lis les positions ou déclarations actuelles des uns et des autres dans le dossier dégâts de sangliers, je constate que la rédaction du futur Cahier des Charges des Chasses Communales pour préparer les adjudications de 2015 tourne autour d'un seul point : contraindre encore plus le chasseur au regard de la gestion des dégâts. Si sous la pression, ce point l'emporte sur des garanties fortes concernant la quiétude, la qualité ou la consistance des lots de chasse, la grève du chasseur ne pourra être que la seule réponse à apporter. Sans un engagement fort des communes pour la chasse, il ne pourra y avoir de preneurs ni au gré à gré ni par adjudication.
A ce titre ce qui est entrain de se dessiner ou de se faire du côté de la ville de Strasbourg, concernant ses chasses péri-urbaines ne pourra que servir d'exemple aux autres.
La grande différence à venir c'est que jusqu'à aujourd'hui le chasseur apportait de l'argent à la collectivité, demain le régulateur nécessaire pour le remplacer coûtera de l'argent aux contribuables.
"Je souhaite que tout chasseur ait chez lui une photographie des bêtes que volontairement il s'est abstenu de tirer et il se rendra compte de la satisfaction intérieure très profonde qu'il ressentira en regardant cette image d'un animal qu'il aurait dû normalement tuer, mais qui, grâce à lui poursuit son existence. Cela le conduira dans le sens d'un changement profond de sa mentalité"
François Sommer dans "la chasse imaginaire".