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En 2002, il m'avait été demandé de décrire une journée de chasse à Diebolsheim pour un hors série sur la chasse en Alsace de la revue France Territoires Magazines. Ci-après l'intégralité de l'article, en mémoire, d'une belle époque et de tous ceux qui ont contribué à la renommée des lieux et de sa chasse :

" Comme pour tous les hommes de légende, beaucoup de choses se sont dites sur les chasses en Alsace du Comte de Beaumont. C’est vrai, il y avait de quoi alimenter, susciter, fantasmer, à commencer par l’étendue de son territoire. A son apogée, dans les années 60 du siècle dernier, il couvrait 12 communes, de la sucrerie d’Erstein à Diebolsheim et de Rust (actuel Europapark) à Nonnenweier, côté Badois. Un vrai Groupement de Gestion Cynégétique à lui tout seul. Une aubaine, largement exploitée par tous ceux qui chassaient à côté...

N’empêche que le gibier peuplant sa chasse pouvait s’y développer, par des soins constants, par le respect de zones de quiétude, l’aménagement de cultures. Un FARB bien avant l’heure, et des modes de chasse limitées à la battue ou à la marche, des territoires rarement « resucés ».

Mais la corne d’abondance, c’était aussi des paysans encore heureux de voir du gibier sur leurs terres, la garantie d’être indemnisés des dégâts. C’était l’adaptation au développement économique rural, la percée du Canal d’Alsace et le remembrement des terres agricoles, précurseur de la « maïsiculture ». C’était des gardes de légende soudés autour du « chef», comme ils appelaient leur régisseur, et qui ont su faire Diebolsheim et préserver son excellence à travers le temps.

Pour beaucoup, Diebolsheim, représentait plutôt le faste, le mystère, l’envie de savoir ce qui se passait derrière ce grand mur blanc couvert de vigne vierge entrecoupée de géraniums rouges et l’immense portail en bois. Pour quelques-uns c’était un must, pour la plupart c’était la garantie, d’un accueil chaleureux, authentique, d’une chasse de qualité, loin d’une tuerie organisée, comme il a pu être écrit quelque fois.

Des clichés

La roulotte mythique, couleur grany smith et la vieille Dodge, symbolisaient à elles seules le Comte et la chasse. Bien avant 8 heures elle était en place pour permettre son chargement et accueillir en général 6 à 8 invités, chacun avec 2 fusils.

Dans les champs, les « grandes manœuvres » étaient elles souvent déjà en route. Ensemble, sans trace du passé, mais réconciliées par le partage d’une même passion, les équipes badoises et alsaciennes battaient la campagne. Sur une surface de 200 à 350 hectares, une cinquantaine de traqueurs encadrés des gardes avaient la lourde tâche de ramener, drapeaux blancs au vent, le petit gibier, vers un grand boqueteau ou des couverts cynégétiques appropriés, puis d’attendre l’arrivée des chasseurs.

Les grandes manœuvres

Postés loin et savamment par le Comte, selon les habiletés de chacun, les tireurs étaient placés aux endroits marqués d’avance. Pour que l’oiseau ait sa chance, la ligne des chasseurs était tracée de telle sorte que le faisan puisse terminer « sa chandelle » et entamer un vol rectiligne, haut dans le ciel. Au coup de trompette libérateur, tout l’art consistait dès lors à rabattre petit à petit le gibier vers l’avant. Un travail délicat dicté par le vent, la configuration du biotope, l’expérience. La moindre erreur, une aile trop avancée, une ligne mal formée, et les oiseaux sortaient mal ou rebroussaient, sauvés. L’avancé était lente, minutieuse avec un recadrage permanent des traqueurs.

Klopfen !

Mais le plus dur restait à faire, assurer l’envol continue des faisans. Pas facile, sauf si tout le monde respectait la complainte du rabatteur du Comte, « Klopfen, Klopfen, Klopfen ». C’est qu’il s’agissait de taper fort avec son bâton sur la végétation ou sur les troncs d’arbres tout en avançant. Bien exécuté, c’était un passage constant en haut vol de bouquets de faisans, avec à la clef des tirs remarquables. Mal exécuté, c’était une volée de bois vert, dont le Comte savait si bien gratifier ses plus fidèles. Chacun savait que si ses fusils restaient entre les mains de Henri, son chargeur, c’est que l’orage passionnel allait éclater. Il refusait simplement de tirer un oiseau facile pour lui, peut-être difficile pour un autre. Il avait cette capacité trop rare de ne pas presser systématiquement sur la détente, celle qui distingue le chasseur du « viandeur ».

Des rôles précis

A 300 mètres des chasseurs, une équipe de « ramasseurs » était postée pour observer les tirs et « marker » les blessés. Pour eux, c’étaient une autre chasse, celle avec leurs chiens. Durant de longues minutes, le ciel était traversé de petits points sombres et clairs, un véritable feu d’artifice de faisans. Contrairement aux coqs, les poules passaient, sans être sauvées pour autant, car derrière, Bayon et Enon, nos deux labradors, n’en perdaient pas une plume. Ils savaient qu’une faisane posée ne se relèverait plus.

Une fois la battue terminée, le gibier de la ligne ramassé, c’était au tour de l’équipe responsable du gibier et de son transport de prendre les choses en main. Toutes les dix pièces un coq était sorti de l’alignement pour faciliter le comptage, notamment pour les invités, soucieux d’évaluer leurs chances de gagner les paris faits sur le score final du tableau du jour.

Au départ des chasseurs vers une nouvelle battue, le gibier prenait rapidement la direction de la remorque de la jeep pour être éviscéré en été à l'aide d'un crochet avant d'être suspendu par paires sur de longues perches et selon le cas convoyé vers Diebolsheim. Le challenge de cette équipe était de présenter le tableau final avant le retour des invités.

L’arrivée des « Dames »

Mais la chasse du Comte c’était aussi le repas de midi avec l’arrivée des « Dames » en De Soto couleur bronze, emblème du « Mets toi à l’aise » sorti et flottant sur les ailes . C’était aussi l’heure pour les gardes de placer leur jeu de mot favori, « Chef, wen m’r so Mies of d’Behn hette, d’d’mr d’Roller aw tsameschlawe ».* L’ambiance était subitement à la détente, après les inquiétudes du matin...

Enfin une journée de chasse à Diebolsheim, c’était toujours, le gros coup de klaxon de la dodge pour prévenir le personnel du retour des invités. C’était la présentation du tableau dans un alignement parfait, le départ du gibier vers Colmar, orchestré par l’épouse du régisseur. C’était la voix du Comte dans l’interphone pour appeler au briefing du soir. C'était Eugène, le jardinier transformé le temps d'un week end en armurier pour nettoyer tous les fusils dans la salle de chasse où chaque invité avait son casier. C’était en cuisine, la préparation de la soirée dite du « Grand Service ». Tout un art de vivre à jamais perdu ? "

 

* Chef, si on avait de telles souris au grenier, on supprimerait aussi le matou

 

Un jour de chasse chez le Comte J. de BeaumontUn jour de chasse chez le Comte J. de Beaumont
Un jour de chasse chez le Comte J. de BeaumontUn jour de chasse chez le Comte J. de Beaumont
Tag(s) : #Faune-Nature-Ecologie et Chasse, #De ma vie
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