"La nature appartient à tous", "haro contre la privatisation de la nature par le chasseur", "la nature, un immense parc de loisirs gratuit", ces slogans,revendications ou états de fait sont devenus ces dernières années le quotidien quasi permanent du chasseur, dans ses rencontres avec les autres utilisateurs de la nature. Il faut dire que notre petite Alsace, en particulier sa plaine, a cette particularité d'être de plus en plus "rurbanisée" avec un fort morcellement des territoires par les villages souvent très rapprochés les uns des autres, ce qui entraîne forcément un taux de fréquentation de plus en plus important des espaces dits naturels. Il est loin le temps où en découvrant l'Alsace, Louis XIV se serait exclamé "quel beau jardin".
D'un autre côté le lien de la chasse avec la ruralité se distend de plus en plus avec les changements générationnels et nos villages qui perdent leurs agriculteurs les uns après les autres avec le choix politique qui privilégie l'extension des exploitations par la disparition des petits fermiers. Parallèlement à ce choix des instances agricoles nationales ou européennes, la place vide des fermes vendues est occupée par des actifs pris dans le tourbillon des transports du matin et du soir, du boulot ou du chômage, de la banalité du quotidien, du stress ou du burn out, de la baisse du niveau de vie ou de l'endettement, soit de toute une série de "joyeusetés" qui dépriment tant le moral de notre pays.
Rien d'étonnant qu'une fois de retour à la maison, le repli du chacun pour soi prenne le pas sur le vivre ensemble, pourtant souvent déclamé dans les campagnes électorales, notamment municipales. Rien de surprenant que dans le pays des plus grands consommateurs de médicaments, beaucoup aient les nerfs à fleur de peau et besoin d' évacuer le "trop plein hydraulique" si cher à Konrad Lorenz.
Dans ce sens, la "nature" ou ce qu'il en reste autour de nos villages remembrés est de plus en utilisée pour "se refaire la cerise", le temps notamment d'une activité dite de pleine nature. On prend alors une paire de botte et son chien, un vélo ou un VTT, une moto verte ou un quad, un poney ou un cheval, des bâtons de ski ou des rollers, une paire de runners et un short, pour, à l'heure de son choix ou de son état de besoin, sortir vers "un autre chez soi". Qu'il fasse déjà nuit ou pas encore jour, qu'il y ait une réglementation ou non sur les chemins empruntés, qu'on interfère dans la vie animale ou non, qu'il fasse beau ou non, froid ou chaud, la nature ne devient alors plus qu'un simple support ludique, de surcroît gratuit.
Aujourd'hui, la nature est devenue un marché, un produit de marketing mis à la mode, un énorme potentiel repéré par le monde du business en tout genre pour ouvrir de nouveaux marchés. Sotchi en est actuellement un reflet parfait, plus proche de chez nous, la privatisation du Mont Blanc. Même si les catastrophes naturelles s'enchaînent à un rythme inquiétant, notamment parce que l'homme, fort de ses soi-disantes innovations technologiques, cherche en permanence à dominer la nature et la pourrit par ses activités et sa soif de croissance pour maintenir en activité ses populations, le mouvement "nature" qui doit compenser la perte de qualité de vie est inexorablement en marche.
Dans ce contexte, le chasseur devient de fait le mal-venu ou le mal-aimé, celui qui "fait chier" comme vient de me le dire sous la menace de me casser la figure, un promeneur avec ses deux molosses en action de chasse dans un couvert, en pleine obscurité. Face à ces comportements de plus en plus fréquents, soit vous faites de la résistance, soit vous abandonner le terrain, en l'absence de dialogue possible. Le seul argument qui pourrait encore plaider pour une "défense de la place" par le chasseur serait l'abondance de gibier, liée à son action ou investissement au quotidien. Mais voilà , nos campagnes sont aussi devenues des déserts cynégétiques pour les raisons connues.
Il est donc temps de laisser parler la raison. Oui comme le souligne la Fédération des Chasseurs du Bas-Rhin, la chasse représente "52 millions d'euros injectés par an dans l'économie locale". Oui la chasse c'est avant tout une passion, une immersion la plus discrète possible dans la nature, un sacerdoce chronophage, des milliers de kilomètres de voiture, mais à quoi bon ? Le petit gibier est sous perfusion, voire déjà en phase de fin de vie, le grand gibier dans la ligne de mire des exploitants forestiers et l'exercice lui-même de la chasse rendu de plus en plus impossible.
Si je fais une analyse rationnelle des avantages et inconvénients à gérer encore un territoire de chasse, les clignotants sont aujourd'hui largement dans le rouge. Chasser, c'est-à-dire uniquement sortir pour tirer, restera encore longuement une activité possible, car l'offre est aujourd'hui planétaire, en milieux ouverts ou en parcs. Mais quand on vient du "gérer et préserver", la chasse loisir, touristique ou sexuelle ne peut être votre "kif".
Alors, et ce n'est pas un scoop pour ceux qui me connaissent, 2014 sera mon dernier bail, au regard de mes critères d'exigence sur ce que j'entends par "chasse".