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La chaleur lourde d'une nuit d'été, des travaux sur une voie ferrée réveillent le chasseur. 2h30, trop tôt pour se lever, certainement, mais l'homme se connaît, il ne réussira pas à se rendormir. Alors autant en profiter pour sortir retrouver sur un pré, un renard malencontreusement raté la veille. Mais comme souvent, une occasion manquée ne se retrouve que rarement et c'est assez désabusé que notre chasseur quitte son échelle de fortune à 5h30 après deux heures de vaine attente et sans avoir vu le moindre animal.

"Si le renard ne vient pas à toi, c'est le chasseur qui ira vers le goupil", en l'occurrence par une pirsch dont il a le secret. Comme il est à bon vent, point besoin de revoir la stratégie de déplacement vers un autre pré; longer en bordure un bosquet descendant, remonter un chemin et s'approcher pas-à-pas de la zone convoitée. Aussitôt établi, aussitôt en route, entre lisière tapissée d'orties et bordure d'un champ de blé.

A mi-pente, comme un mirage, tellement la vision est impensable, tant par l'heure 5h45, plein soleil, que par l'endroit où jamais de sa mémoire n'a été vu un sanglier, un isolé arrêté à trois cent mètres, à droite du chemin de pirsch. Ecoutes dressées, tête orientée à l'opposée du chasseur, sus scrofa, comme figé dans le décor, semble réfléchir à ce qu'il pourrait bien encore faire en cette heure matinale. L'arrêt semble interminable, mais laisse le temps au chasseur d'établir sa stratégie : l'intercepter au retour vers le bosquet, seul refuge de toute la zone de plaine. Mais au premier déplacement du sanglier tout laisse à penser qu'il n'a pas du tout l'intention de terminer sa promenade dans les champs, mais au contraire d'entrer dans un blé pourtant pas encore appétant. Seule solution dès lors, l'approcher quand il sera bien à l'intérieur de la culture.

Pour cela, il faudra descendre jusqu'au chemin herbeux et remonter le champ suivant à bon vent, ce qui veut dire aussi perdre de vue pendant quelques minutes le suidé. Si l'éloignement rassure le chasseur, pour autant le moindre craquement sous ses pieds peut être fatal. C'est donc sans trop traîner, tout en scannant le sol des pieds et des yeux, que le chasseur avance. Quand le contournement par l'éloignement puis par le rapproché vers la dernière zone où a encore été vu la cible sera achevé, commencera alors vraiment la chasse à l'indienne.

Tous les sens sont en alerte maximale, pour ressentir la course du vent changeant, pour retrouver le sanglier dans le blé, pour avancer sans le moindre bruit. Implanté dans un espace vallonné, impossible de visualiser l'ensemble du champ, seule solution donc, passer de la partie basse vers la partie haute, avec le risque de tomber fortuitement sur l'isolé de retour de la partie aveugle.

Bien évalué ou anticipé, le chasseur retrouve effectivement son sanglier, la tête au-dessus des épis, mais complètement à l'autre bout du champ et à gauche. Veut-il se réfugier dans les hautes herbes d'un fossé humide situé en contre-bas ? Possible, il commence à faire chaud. Le bonheur de la retrouvaille est cependant bref, car le vent tourne, impossible dès lors d'approcher de ce côté. Il faut revenir au point de départ et descendre vers la bête noire du même côté, hélas la partie en pente basse.

Débarrassé de ses jumelles et de son tripode, le chasseur reprend sa pirsch vers l'animal avec deux options en tête, soit il parvient à raccourcir la distance d'ici la fin du blé, soit il le croise si d'aventure il vient au sus scrofa l'idée de revenir en arrière. Marchant sur un semis de maïs, le risque proprio réceptif est limité, toute l'attention est donc portée sur la détection d'un mouvement des épis. Mais à mi-champ, rien, pas de hure, de pointe d'une oreille, pas de bruit révélateur. Il n'a pu disparaitre au nez et à la barbe du chasseur. Le doute est installé tout de même, il suffit que le cochon prenne un sillon de tracteur et ni vu ni connu, je m'évapore. Mais notre chasseur a de l'expérience et sait que chercher à atteindre au plus vite le dernier endroit où il a localisé le sanglier risque d'être fatal. Il interrompt donc fréquemment son avancé et attend, comme le pêcheur attend la remontée de la baleine et fait confiance encore une fois à ses sens.

Bingo, en face de lui à trente mètres, les épis bougent, enfin. De longues minutes passent, la carabine prête à être épaulée si la tête ressort, en espérant que le vent reste stable. Au fil des minutes, le mouvement des épis s'affaiblit au point de faire douter le chasseur, s'il n'avait entendu un grognement peu de temps au préalable. Puis plus rien, calme total. Dans l'esprit du chasseur pas de doutes, le sanglier s'est baugé.

De nouvelles longues minutes à attendre, à définir une nouvelle stratégie. Plusieurs sont possibles, il suffit de choisir la bonne, que seule la fin de l'action définira comme telle ou pas. Ce sera donc l'approche jusqu'au bout.

Grossissement de la lunette au minimum, c'est légèrement décalé vers la gauche que le chasseur entre dans le blé. Enjamber ou selon glisser les pieds entre des espaces moins denses en épis, c'est tout l'art d'avancer en la circonstance.

Espacer toute progression par des arrêts pour scruter la bauge et choisir le chemin, être prêt à réagir en cas de levée subite, toute la concentration du chasseur est maintenant focalisée sur ces trois situations. Il est chez le sanglier, la donne n'est pas pareille à celle du chasseur installé en hauteur dans une confortable "Kanzel".

Pas après pas, profitant tantôt du bruit d'un train au loin ou de voitures sur la route, le chasseur se rapproche. Vingt, quinze, dix mètres, impossible de voir le sol à travers les épis, pas le moindre bruissement de tiges. Cinq mètres, trois mètres, le temps de la distance parcourue paraît une éternité, avec au bout un gros doute sur une présence.

Deux oreilles noires émergent maintenant du sol face au chasseur, monté sur la pointe des pieds. Le doute n'est plus permis, il est là. Endormi, alerté par son odorat ou son ouïe, prêt à foncer ? Une détonation sourde, un fracas, des courses à travers les épis, le silence, la vision d'un marcassin. Tout se mélange, l'émotion, les sentiments, la réalité. L'adrénaline est tombée, c'était une "mama", et le chasseur en une fraction de seconde, celle d'une 7X65, est devenu "régulateur", avec toute la tristesse et désolation que ce genre de fonction peut amener.

Il a beau se convaincre que le sanglier est déclaré nuisible, qu'il est missionné par les autorités pour empêcher les dégâts aux cultures, qu'il n'a pas à faire de sensiblerie, sa sensibilité est atteinte. Mais diantre, que venait faire cette laie aussi loin de la forêt, à un endroit où jamais le chasseur n'a vu de bête noire ? Hasard, errance, surpopulation en forêt, recherche de quiétude ? Une chose est sûre dans le contexte actuel cette compagnie aurait fait des ravages jusqu'à ce qu'elle soit détectée, surtout dans l'océan de maïs une fois poussé. Maigre justification ou consolation devant le tableau de toute une compagnie. Jamais le chasseur ne saura non plus, si le solitaire devenue laie était prêt à charger ou si vraiment il a su déjouer l'attention de la troupe.

En tout cas, pour lui, c'est un fait avéré, "la chasse vaut mieux que la prise" comme l'a su si bien dire Blaise Pascal.

 

Tag(s) : #Faune-Nature-Ecologie et Chasse, #De ma vie
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