Du temps de la "corne d'abondance" du petit gibier, l'Alsace fascinait bon nombre de chasseurs français et attirait des nemrods de tous pays. Il est vrai aussi qu'il existait alors quelques beaux territoires dédiés à la petite faune dans nos deux départements, avec des patrons de chasse de renom, le plus emblématique étant certainement le Comte Jean de Beaumont avec son territoire de six mille hectares des deux côtés du Rhin, entre Erstein et Diebolsheim. Chaque grand de ce monde se devait d'avoir passé "au château", beaucoup d'ailleurs, disent y avoir été invités, sans jamais y avoir mis les pieds pour autant, un fantasme comme un autre.
Aujourd'hui il en est toujours encore ainsi, pouvoir venir chasser en Alsace continue de fasciner, hélas c'est le "gros" qui séduit maintenant, car les tableaux de 400-500 faisans et lièvres se font dorénavant loin de chez nous et les grandes fortunes se trouvent paraît-il aussi ailleurs.
L'Alsace et sa chasse reste cependant encore mystérieuse, voire inaccessible dans beaucoup d'esprits, peut-être de par son aspect privatif, de par sa gestion héritée du voisin germain, de par sa tradition, ses modes de chasse, son dialecte malheureusement en lente extinction.
Les "histoires alsaciennes" font donc encore recettes, tout particulièrement à partir de l'hiver, lorsque les premières battues commencent à troubler la quiétude de nos bois. Comme en face, le "tourisme cynégétique" est un produit en vogue, l'Alsace n'échappe pas à cette "marchandisation" des territoires qui met au programme des séjours ciblés sur des weekends "all included". Quoi de plus facile avec la toile que d'attirer maintenant des "invités payants" de partout, en plus des annonces habituelles quelques fois plus discrètes.
Encore faut-il planter ou disposer d'un beau décor :
une belle auberge comme refuge, aux portes d'un charmant village perdu quelque part dans les Vosges, adossée à une chasse de grands gibiers, tenue par un groupe de cinq-six "partenaires", avec un Président, sans lequel rien ne se fait et des "invités" payants venus de toute la France, de l'Allemagne voisine et de la Suisse pour compléter le "rond" autour du feu et du "chef" ou maître de cérémonie.
Une fois les consignes, en principe toujours strictes et précises passées, les lignes sont rapidement constituées et chacun de se disperser à pied ou en 4X4 pour gagner son poste. La "fête" peut commencer pour ne se terminer que tard le soir, au son de la fanfare, avant de recommencer le lendemain sur un autre territoire.
Je passe sur le tableau, tout le monde ne pouvant tirer, la réussite des uns devient celle des autres, mais en principe tout a été fait en amont pour que le week-end reste mémorable et donne envie de revenir : une vingtaine de sangliers et quelques pièces de rouge ou de chevreuils, c'est le SMIC à prévoir, le "Service Minimum Initialement Calculé" pour satisfaire prestataires de services et "invités" .
En soi, une telle approche de la chasse collective n'est pas forcément critiquable, à chacun la liberté de ses choix, celui-là consiste par exemple à couvrir au maximum les frais de la chasse par les "autres" pour se réserver le tir du brocard et du "grand coiffé", mais que dire cependant de la notion d'"invité" ? Que dire surtout de la marchandisation des battues au regard des textes ?
Si je me réfère à l'article 14 du Cahier des Charges des Chasses Communales, il est clair que le fait de recourir à des parts-battues, à des invités payants, voire le chapeau tarifé par le groupe de chasse pour payer les frais d'organisation, est illégal.
« Il est interdit au locataire de tirer de ses droits sur le lot de chasse des recettes autres que celles procurées par la vente du gibier tué ou repris vivant dans les conditions prévues au cahier des charges type et par les participations financières versées par les associés régulièrement déclarés et inscrits, participation dont le montant ne peut excéder ce qui est nécessaire pour compléter le prix de vente du gibier jusqu'à concurrence de la somme du loyer, des taxes, des indemnités de dégâts de gibier, des salaires des gardes chasse et rabatteurs, de l'agrainage du gibier et des autres frais normaux de gestion et d'exploitation du lot de chasse ».
Pourtant, nombreux sont les groupes de chasse ou les chasses en nom propre où les textes ne sont pas respectés "à l'insu de leur plein gré". Mais là encore, à la limite chacun assume ses risques et c'est aux instances en charge de la réglementation et de l'application des textes de faire le ménage ou pas (voir la position de la FDC 67 jointe en fichier).
Par contre, là où je m'insurge, où je dis non, c'est lorsqu'en "amont" pour fidéliser" l'invité" on passe à la gestion quantitative des sangliers, car il en faut pour satisfaire "le client". C'est le cas de bon nombre de chasses en Alsace, du moins dans le Bas-Rhin, où les sangliers sont alors réservés avant tout pour les battues avec toutes les conséquences sur les dégâts.
Je l'ai maintes fois dit et écrit, je n'ai rien contre "les éleveurs", les marchands et autres bidouilleurs à partir du moment où ils assument en pleine responsabilité leurs choix, tant de gestion que de mode de chasse. Si je veux du sanglier et que ma zone vitale est exposée aux prés ou aux cultures, je dois assumer le risque et financer les contributions complémentaires, car "la casse se paye". La solidarité n'a rien à voir là-dedans.
Par contre, comme c'est le cas actuellement, "se faire du gras" par une marchandisation de sa chasse et faire "taxer" les chasses sans surfaces boisées, soit sans impact possible sur les densités, pour réduire encore les charges financières de son groupe, ou le montant de sa part de chasse, est absolument immoral et scandaleux.
Tous les chasseurs locaux connaissent les pratiques des uns et des autres ou les consignes en place dans telle ou telle société de chasse, car tout finit par se savoir, car les partenaires passent d'un groupe à l'autre et finissent "par baver".
Quand on y regarde de près, il y a souvent un monde entre ce qui est dit et ce qui est fait.
Du côté des chasses mixtes (bois et plaine réunis), officiellement, je refuse le tir de nuit par éthique, en vrai je ne veux pas courir le risque de tirer une laie, capital indispensable pour mes battues d'hiver.
Officiellement j'autorise mon groupe à sortir de nuit, mais celui qui tire une laie prendra une amende conséquente. C'est aussi faire de la dissuasion, mais pas des sangliers !
Officiellement je fais de la dissuasion, mais en réalité que les week-ends ou lorsque mes partenaires venus de France et de Navarre sont présents.
Officiellement je tire autant de sangliers à l'affût qu'en battue, en réalité mes chiffres communiqués sont erronés.
Officiellement, les consignes de tir n'ont plus court, tout comme les amendes, sauf à partir de janvier, car les plus de 50 se vendent mal ou les laies sont pleines ou suitées.
Résultat, les forêts continuent, années après années, à pulluler de sangliers après la saison des battues, car nombre de tirs sont aussi manqués vu les modes de chasse.
Comme seule réponse pour faire face, on s'appuie sur l'agrainage pour officiellement les tenir en forêt, voire on croit en la grâce de Dieu pour se convaincre que tout se passera bien selon le principe de la "tête sous la couette".
Et puis, il y aura bien le FIDS et ses clôtures qui cantonneront les sangliers en forêt comme dans des parcs, avec des critères d'implantation certainement pas forcément égalitaires entre adjudicataires.
Et puis il y aura les louvetiers qui sortiront avec les phares et les 4X4, et puis il y aura les préconisations des instances, comme allumer des feux, mettre de la musique, des gyrophares, entraîner les chiens en été dans les maïs.
Et puis il y a encore les plainards mis sous la menace de la responsabilisation financière, maintenant qu'ils ont droit au recours aux lampes avec obligation de résultats et au tir de nuit généralisé.
Pourquoi dès lors s'attaquer vraiment en saison des battues à la surpopulation, au risque de tuer la "laie aux marcassins d'or" indispensable à la marchandisation de la chasse en forêt et au SMIC ?
"Quand tu es dans la merde, ne dis rien, et essaye de donner l'impression de savoir ce que tu fais..."
Position de la FDC 67 sur la marchandisation à l'AG d'avril 2010, en réponse à l'Union Cynégétique d'Alsace