Dans les négociations en cours entre ONF et locataires des chasses domaniales sur la poursuite ou non du bail, voire une hausse ou baisse du prix de la chasse, les discussions individuelles vont actuellement bon train et tournent essentiellement autour d'un point unique, la capacité d'accueil en grand gibier du lot et plus globalement du massif dans lequel est situé le territoire.
L'orientation donnée aux négociations par l'administration forestière est inchangée et sans équivoque, pour atténuer le risque de dégâts, il faut parvenir à des effectifs adaptés aux habitats, en clair "réduire et contrôler grandes pattes, suidés et chevreuils", en accroissant le nombre de bracelets, en fixant des minimas obligatoires, en sanctionnant les non-réalisations. Du côté du chasseur, pas grand chose à mettre en face de ses interlocuteurs qui puisse séduire : la perturbation des lots, la forêt devenant de plus en plus "un terrain de jeux" pour toutes sortes d'activités individuelles ou collectives, organisées par des associations ou de façon sauvage, la multiplication des travaux forestiers tout au long de l'année, le percement de pistes nouvelles, souvent dans les meilleures parcelles, (pas forcément par hasard...), les difficultés à réaliser les plans de chasse. En résumé, rien de neuf dans le vieux monde de la chasse domaniale, le gibier restant le principal accusé du manque de régénération naturelle de la forêt et la perception d'un chasseur qui a tendance à traîner des pieds en manquant "à ses devoirs" de régulateur pour restaurer l'équilibre sylvo-cynégétique ou faune-flore.
Maintenant, peut-on objectivement se contenter de réduire les causes d'une forêt en mal de croissance au seul manque de gestion du grand gibier par un locataire ? Que la forêt soit devenue au fil des ans de moins en moins accueillante et nourrissante pour la grande faune est une réalité qui ne peut échapper à personne. Que les arbres à croissance rapide remplacent de plus en plus les feuillus est un choix industriel validé depuis maintenant des années et qui appauvrit les biotopes. Que tout acte sylvicole doive dorénavant être prioritairement favorable à la forêt, même si dans les textes on parle d'équilibre forêt-gibier, ne peut être nié non plus. Que la volonté d'ouvrir nuit et jour la forêt aux loisirs perturbe forcément les comportements des animaux et contribue donc aux dégâts dus au besoin d'évacuer le stress est un choix qui se retourne contre le chasseur en rendant l'exercice de la chasse de plus en plus compliqué.
Que la forêt au final soit plus malade qu'en bonne santé, sans liens avec le gibier, mais à cause d'erreurs d'exploitation et de changements climatiques qui de loin n'ont pas encore montré tous les effets, un arbre mettant de très longues années à mourir, est une évidence, mais "politiquement" incorrecte dans la bouche d'un chasseur. http://www.veillecynegetique67.com/2018/03/gibier-et-perte-d-exploitation.le-bouc-emissaire-tout-trouve-qui-cache-les-vrais-enjeux-de-la-foret.html
Les enclos/exclos mis en place sur les lots domaniaux, je cite "doivent donner une image du développement de la régénération avec et sans herbivore sauvage et constituent un bon outil pédagogique. Ils reflètent la dynamique forestière hors de la dent du gibier sans constituer pour autant une référence absolue".
A l'heure du bilan qui a vu les experts forestiers à plat ventre pour détecter des différences de hauteur de pousses, on peut être en droit de se poser la question si l'arroseur n'est pas entrain de se faire arroser. C'est que les placettes en de nombreux endroits ne révèlent pas une grosse dynamique forestière. En clair, il ne pousse pas plus de végétation à l'intérieur de l'enclos qu'à l'extérieur... ce qui fait dire à l'administration que les résultats des placettes choisies ne sont pas significatifs. Une bien belle rhétorique pour ne pas avouer l'inavouable. Une bien belle rhétorique aussi pour ne pas baisser de 10% le prix du bail...
Au final, on tourne en rond, le jeu de dupe continue autour d'indicateurs qui ne révèlent pas ce qu'on aurait aimé démontrer et on va donc continuer à se focaliser sur la dent du gibier et l'agrainage restrictif. C'est une approche simpliste alors que si vraiment la volonté était de faire co-habiter arbres et gibier dès maintenant et non "un jour" inscrit dans les calendes grecques, il faudrait enclencher le turbo dès maintenant, en l'occurrence, mettre en œuvre les fameux aménagements sylvicoles qui existent en théorie et en pratique sur le territoire expérimental de l'ONCFS à la réserve de la Petite Pierre ou à Chambord. Sur le papier et pour mémoire, il s'agit de :
- créer des prés-bois, soit "des zones de gagnage obtenues en ouvrant localement et sélectivement le peuplement existant afin de favoriser l'installation d'une végétation herbacée"
- créer des gagnages ligneux "pour les cervidés et les chevreuils, grands consommateurs de feuillus et de semi-ligneux par le recépage de quelques peuplements riches en charmes pour augmenter la disponibilité de cette ressource"
- améliorer la valeur refuge des futaies qui "offrent peu de remise aux cervidés en hiver, en y créant des ilots de peuplement mixtes de quelques ares (résineux ou feuillus) pour augmenter la capacité d'accueil diurne des cervidés".
- agir sur le cloisonnement, par des éclaircies et travaux sylvicoles pour "apporter de la lumière et donc développer une végétation spontanée pour la grande faune".
- élargir les accotements/talus des routes forestières et pistes pour "permettre au gibier de trouver dans ces aménagements une végétation abondante et facilement accessible"
- entretenir des jeunes taillis particulièrement recherchés par les cervidés "en apportant des zones d'alimentation et une zone de remise diurne"
- gérer des trouées dans les peuplements adultes (chablis, mortalité naturelle ou liée à un parasite ou à une maladie). "Ces ouvertures de petites tailles apportent nourriture et zone refuge aux cervidés. Il est donc important de ne pas les replanter systématiquement".
- créer, entretenir des mares, elles "constitueront des souilles pour les mâles"
- maintenir les chablis résineux (hors épicéas) ou le houppier d'arbres abattus, "ils constituent un apport de nourriture conséquent dans les zones de gagnage hivernal"
Il n'y a donc plus qu'à, mais voilà de "la coupe aux lèvres", le chemin est parfois long, pour un tas de bonnes raisons. Officiellement, le préalable exigé par l'ONF dans le Schéma Cynégétique, atteindre un point bas des densités par l'abattage, n'est pas encore atteint, plus vraisemblablement, la mise en œuvre demande des moyens humains et financiers que ni l'établissement public, ni les communes ne sont prêts à mettre.