Lorsqu'on regarde la littérature de nos voisins allemands sur la gestion du grand gibier, les incidences sur les dégâts forestiers, la manière de parvenir à un équilibre forêt et gibier, les techniques de chasse à mettre en place pour réduire les densités, particulièrement en ce qui concerne le cervidé, sujet qui nous mobilise actuellement, on a l'embarras du choix, la toile déroule les pages. Dans les innombrables articles sur l'art et la manière de réduire les populations d'ongulés, sur l'impact des battues sur leurs liens sociaux, sur la chasse dans le respect du gibier, le site de la Fondation allemande pour la faune sauvage (DWS) est particulièrement intéressant, avec en particulier sa plateforme sur les cervidés, du moins pour ceux qui maîtrisent la langue de Goethe.
On se rend compte aussi combien la culture de chasse allemande fonde et ancre sa pratique autour des notions fondamentales de bien être de la faune, du respect des animaux sauvages chassés, en particulier des animaux suités. Fouillez sur la toile française sur les mêmes thématiques et vous tomberez avant tout sur tout ce qui touche à la protection des animaux familiers, domestiques ou d'élevage et les organismes qui les défendent. Sur les animaux sauvages, le droit s'attache à défendre ceux vivants en captivité, pour le reste c'est le statut du "res nullius" qui prévaut. En clair, tout le monde peut faire ce qu'il veut. Ce n'est donc pas par hasard que les défenseurs des animaux œuvrent pour obtenir ce "statut d'être sensible" aux animaux sauvages vivant en liberté par un ajout à l'Article L. 411-1 du code de l'Environnement. .
Rien de honteux pour moi à ce projet, bien au contraire, car ce statut d'animal sensible ne peut tout simplement être raisonnablement contesté par le chasseur. C'est même cette idée qui nous oblige à chasser, piéger, déterrer, poursuivre emprunt d'éthique. C'est cette idée qui doit ressortir dans les nouveaux Schémas Cynégétiques. C'est cette idée qui me mobilise pour parvenir à la rédaction d'un code du chasseur ou code éthique, peu importe l'appellation, avec un socle commun ajustable aux cultures locales de chasse, selon le cas, mais qui énumère les grands principes d'une pratique responsable et honorable. C'est cette idée qui me pousse à poursuivre la publication de coups de gueules et de billets d'humeur sur ce blog ou dans l’œil du viseur.
Si la chasse manque ce rendez-vous, les détracteurs obtiendront du politique l'ajout de la ligne fatale à l'exercice durable de notre passion, "afin qu'ils ne puissent plus être blessés, tués ou capturés" et sans la restriction qui garantira la durabilité de la chasse,"sauf "lors des activités régies par les règlements propres à la chasse, à la pêche, à la recherche scientifique ainsi qu’à la protection de la santé publique ou vétérinaire et de la sécurité publique".
La chasse est engluée dans une mauvaise pente depuis que son approche se fait sur la base de l'établissement d'un équilibre dit agro-sylvo cynégétique avec du gibier positionné comme vecteur de dégâts. Le petit gibier serait-il encore en abondance, le lièvre, le faisan seraient vus de la même manière qu'aujourd'hui le sanglier, le chevreuil et le cerf. Chasser dans les règles de l'art cynégétique avec des comportements défendables et honorables, dans le souci du respect de l'animal avec tout ce que cela exige d'excellence, c'est faire "old school". C'est défendre le modèle romantique(1) de chasse alors qu'aujourd'hui les Autorités nous impose un modèle techniciste (1) qui privilégie avant tout l'abattage de l'animal sauvage, le Res nullius.
La nature doit rapporter de partout, sous terre, sur-terre, en mer, donc à choisir entre considérer l'être vivant sensible et l'intérêt, la réponse omnipotente de l'homo economicus est toute faite, d'autant plus si l'animal sauvage pour vivre, broute, fouille, abrouti, écorce. il change alors de statut, devient nuisible ou plus "fréquentable", comme c'est désormais le cas pour les trois C, chevreuils, cerfs, chamois et plus confidentiellement car moins répandu, le daim.
Alors, bien qu'on sache que 95% des biches ont des faons (étude OFB La Petite Pierre), que faon et biche vivent étroitement ensemble, qu'une séparation allant jusqu'à un km de distance arrive, notamment en période hors chasse, qu'une battue avec des chiens provoque souvent une fuite séparée du faon et de la mère, on n'hésite plus à s'asseoir sur une règle morale du chasseur, au nom de la protection des animaux suités ,en tirant en battue ou à l'affût, d'abord la biche ou la chevrette, ensuite le faon.
Nous avons des milliers de pages d'études scientifiques en France, sans parler de ce qui existe en Allemagne, Suisse, Autriche sur la meilleure manière à la fois de gérer le grand gibier et comment faire pour réduire des sur-densités. Que d'argent public claqué puisqu'on fait le plus souvent l'inverse de ce qui est préconisé parce que la battue prime sur l'affût, que le chasseur expert manque pour ouvrir le tir de la bichette et de la chevrette non encore couverte dès le printemps, que les territoires manquent de quiétude dans les zones de gagnage ou d'agrainage, que la politique des partenaires géographiquement éloignés a son revers ou ses limites, que les territoires sont hyper morcelés, inégaux en terme de végétation et d'aménagements et la liste est encore longue.
Enfin, les trois départements de la loi locale, de par leur spécificité, n'ont jamais été dans le modèle paysan (1) avec une dominante de gestionnaires locaux. Depuis le siècle dernier à nos jours, les lots sont majoritairement entre les mains de l'argent, en particulier les territoires présentés dans les annonces comme "riches en sangliers et cervidés". Or pour se rapprocher du plan de chasse du printemps à l'hiver, pour réduire si nécessaire des densités, sans perturber, notamment dans les classes jeunes, il faut être présent, "dehors" comme on dit, soit disposer de temps, comme lorsqu'on veut prendre et dresser un chien. Une petite équipe locale, sans partenaires éloignés est sans doute en meilleure capacité à gérer " weidmänisch" un territoire qu'une entité regroupant des membres aux statuts divers et venant chasser ponctuellement à des dates établies longtemps à l'avance, essentiellement en battues. De plus, de moins en moins de territoires font appel à des gardes professionnels pour disposer des "petites mains" et pour être guidés efficacement grâce à leurs repérages préalables, leurs connaissances du milieu, des habitudes du gibier etc...
Notre chasse a été mise brutalement devant ses engagements signés, avec une pression raccourcie de réaliser minima et quotas, maintenant, elle a tout simplement été rattrapée par le temps, avec un mode de chasse, la battue à cor et à cri, au cœur de son dispositif, soit la forme de réalisation des plans de chasse la moins romantique. Se pose forcément la question, doit-on, peut-on changer le modèle ? Celui de nos voisins germaniques, techniciste, repris par l'ONF est donné comme plus "moral", mais dans la pratique, les "mauvais tirs" restent, tout simplement parce que le but actuel est de réduire au point le plus bas les ongulés. L'objectif immédiat ne peut donc être autre que d'abattre, comme cela doit être le cas pour un gibier classé nuisible. Comme en plus un certain nombre de territoires domaniaux vont changer de main, si le chasseur persiste et signe encore, il ne fait pas bon être brocard décoiffé, mama, ongulé de face, de cul, de travers, arrêté ou en course. La chasse n'est alors plus de la chasse.
(1) référence Sergio Dalla Bernardina, 1995 « Pour qui est le don? La comédie de l’innocence dans l’imaginaire cynégétique contemporain », Ethnologie française, tome 25, no 4, p. 668-680.
Son blog, faites y un tour
Biches en battue: les faons, ça trompe énormément !
Le tir des biches en battue et surtout ses conséquences sur les faons qui trop souvent se retrouvent orphelins.
https://www.lechasseurfrancais.com/chasse/biches-en-battue-les-faons-ca-trompe-enormement-87276.html
Que reste-t-il pour défendre la chasse ?
Lorsque l'on donne la parole aux ruraux, on voit bien que la chasse est loin de faire l'unanimité, les personnes vivant en zones rurales étant les premières impactées. Régulation, tradition, l...
https://blogs.mediapart.fr/creature-ferale/blog/141022/que-reste-t-il-pour-defendre-la-chasse
Référence les trois modes de chasse : "Les pratiques de chasse face à la sensibilité animale. De l’invisibilité à l’éthique de chasse ?"
Coralie Mounet et Laine Chanteloup