Nous avons pour habitude de prendre le petit déjeuner face au soleil levant, face au jardin, sans béton devant nous mais avec des arbres, des haies, des plantations pensées pour créer ce que dans les annonces immobilières on nomme un havre de paix. Ce matin, c'est le blues, malgré le beau soleil dans une ambiance givrée, comme aucune autre année aussi peu d'oiseaux sont présents dans notre environnement pour égayer le décor en venant se nourrir dans les mangeoires. Où sont passés mésanges bleues ou à têtes noires, pinsons ou bouvreuils, même les verdiers colonisateurs des zones nourricières en hiver ont totalement disparu. Il reste juste une poignée de moineaux, un couple de tourterelles et de moins en moins de merles. Quant à l'unique rouge-gorge, cela fait plusieurs semaines qu'on ne le voit plus. Seul l'écureuil passe encore de temps à autre, mais moins souvent aussi depuis que les branches basses des deux grands sapins voisins ont été enlevées. D'ailleurs, à quelques minutes près, c'est tout un sapin qui a failli tomber, si les locataires n'étaient arrivés à temps pour le sauver de la tronçonneuse de l'élagueur commandé par le propriétaire.
Justement, lorsque je fais "le tour du propriétaire" matinal au jardin pour sortir le chien, même constat, pas un chant de merle pour annoncer la sortie de l'hiver, juste le croassement de la centaine de corbeaux haut perchés sur les deux derniers peupliers de notre zone verte, venus s'arrêter rituellement, après avoir quitté leur quartier de nuit. Mais "ils sont où", comme diraient les supporters de Marseille ? Croqués par les innombrables chats du quartier ? Morts dans l'année faute d'insectes, notamment en période des nichées ? Morts de froids, nous avons connu des hivers plus rudes ? Dans peu de temps, nous pourrons faire les comptes en observant la fréquentation ou non des nichoirs avec notre voisin.
Pourquoi je parle de ce qui est remarqué un peu partout, le déclin des passereaux, un autre indicateur pour l'homme que quelque chose ne tourne pas rond ? Par simple retour en pensée vers le passé, vers l'époque de l'insouciance où vivre au milieu d'une multitude de petits oiseaux faisait partie de la "normalité". Le vol groupé de chardonnerets n'ébahissait alors personne à la campagne, aujourd'hui nos petits ne savent même plus que cet oiseau existe encore. La normalité aujourd'hui, c'est que tout ce monde disparaît, sans état d'âme, avec un homme formaté au smartphone qui ne le fait plus voir la vie, décoller les yeux des écrans, avec une jeunesse sourde aux derniers chants des oiseaux faute aux oreillettes plantées dans leurs canaux auditifs.
Ceux qui ont eu la chance de connaître encore les soirées de chasse à la croule des bécasses, à partir de mars, savent de quoi je peux parler, des émotions que pouvaient procurer les symphonies orchestrées par nos oiseaux jusqu'à cet arrêt brutal avant l'obscurité de tout son venu de je ne sais quel signal. Aujourd'hui, c'est mort, les gazouillis sont éteints faute de chorale, les chants sont remplacés par les décibels des nuisances sonores.
Bien sûr que je suis entré dans le camp des vieux, mais pas encore assez sénile pour accepter que seule la vie de l'homme est prépondérante. Nous récoltons de plus en plus vite le fruit des dernières décennies de développement à tout prix de l'économie autour de la pensée unique que la croissance fait le bonheur de l'humanité. Nous ruinons en accéléré notre écosystème par rupture grave de ce que l'on appelle la "chaîne alimentaire". Nous savons, mais "oublions" que les êtres vivants dépendent les uns des autres.
Dans le débat politique que nous servent actuellement nos candidats à l'élection présidentielle, il n'existe pas un sujet plus brûlant dans l'urgence que celui de nos choix de société. La question n'est pas de savoir qui est le plus écologique ou le plus ci ou ça, cf mon post sur les "bonimenteurs" de hier, qui promet le plus l'arrêt du nucléaire ou la transition écologique. C'est vers quoi voulons-nous que "le futur chef" nous conduise ? Vers toujours plus de matérialisme, de croissance, de gaspillage, d'inutile, de mauvais usage de l'argent ? Oui, la question du bonheur ne relève plus uniquement de la sphère privée de chacun. C'est aujourd'hui un thème publique, politique à mettre au coeur de la campagne électorale, car il englobe l'ensemble de nos problèmes de société, l'insécurité, l'immigration, l'emploi, l'urbanisme, le transport, l'éducation etc...
La quête de l'argent nous a fait aller vers une société de biens qui oblige l'homme privé à la possession par le travail, la finance, la rente, la spoliation, le délit et autres moyens d'acquisition selon les valeurs ou situation de chacun et l'homme publique à travers l'Etat à capter des cotisations, des taxes, des impôts, des amendes, à contrôler, punir. Ce modèle "de bonheur" avec une planète en ruine est arrivé aujourd'hui au bout de son cycle, a détruit l'environnement et artificialisé le loisir, la relation humaine au détriment de la création de liens qui seuls peuvent unir l'homme.
Pour autant, la question n'est pas de retourner à l'ère de l'homme "chasseur-cueilleur" ou de stopper l'innovation, le développement dans des pays en retard, mais uniquement de penser à qui revient l'opportunité nécessaire de faire le point pour amorcer le fameux "changement" au lieu de "regarder comment la maison brûle". Si le politique "modéré" ne fait pas ce boulot de présentation vers une société de lien et non plus de bien, les extrêmes s'en chargeront pour prendre la place.
Comme l'écologie n'est pas vocation à être un parti politique, le bonheur publique n'a pas à être enveloppé d'idéologie, pire d'être le socle d'une mouvance extrême. Il est temps que nos élus enregistrent que son cher électorat à qui ils doivent leur job en a assez des courants de pensées idéologiques gauche-droite ou extrêmes, mais qu'on aille dans le bon sens au sens propre et figuré.
« Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.