Au départ, une pétition en ligne, une vidéo, puis des youtubeurs surgi de nul part, des ronds points pris comme Q.G. et à l'arrivée un phénomène de révolte sociale habillé de gilets jaunes. En quatre mois, la République se trouve attaquée de partout, sur tous les sujets de la vie en société et personne à l'heure actuelle n'est capable de lire dans le mare de café pour savoir où va aller le pays. Une partie du peuple connecté parti d'environ trois cent mille aux premières manifestations de décembre s'est mis en marche pour le pire et le meilleur, avec aujourd'hui encore un noyau dur d'une dizaine de mille qui veulent juste renverser le pouvoir par l'agitation populaire, loin des doléances de départ sur le pouvoir d'achat mais avec l'espoir d'une erreur filmée fatale des policiers, lors d'un énième samedi pour allumer le feu sur YouTube .
J'avoue que vu sous le regard de ma petite lorgnette, ce phénomène de mise en route d'une déstabilisation de l'Etat par travail connecté de l'opinion et de "militants utiles" est fascinant à observer et quel qu’en soit le résultat, rien en terme de gestion de la République ne sera plus comme avant. Si au départ le mouvement des GJ ne pouvait qu'attirer la sympathie légitime d'une majorité d'entre nous, sur fond de ras le bol de voir le petit peuple pris pour une vache à lait, le pourrissement du mouvement par contre devient un grave danger pour tout démocrate, à partir du moment où en interne (nos extrêmes et autres irresponsables politiques) et en externe (cf l'Italie) l'objectif est d'installer en France ce qu'il est appelé communément une sixième République et en Europe faire vaincre le populisme au printemps lors des élections européennes.
A regarder de près, au fond les GJ, restés actuellement au front pour incarner, soi-disant, le peuple en battant la rue les samedis, les réseaux sociaux et médias à chaque fois que possible, ne sont que le prolongement de la trop fameuse théâtralisation de la perquisition du siège de la France Insoumise et la médiatisation qui s'en est suivie à travers le coup de génie de notre Maduro national "la République, c'est Moi".
Cette exploitation du Live, à travers l'impact de l'image sur l'opinion, c'est aujourd'hui le plus grand danger qui sans doute guette la survie de notre démocratie. La démocratie représentative actuelle "sans suffisamment de raison et savoir" de ses utilisateurs, pointée dans mon post de novembre dernier , a aujourd'hui un adversaire hors norme, hors contrôle à combattre : la démocratie 2.0
Mon épouse a eu l'occasion de voir défiler de très très près l'ensemble des GJ samedi dernier au centre ville de Strasbourg, dans la phase chaude de la fin d'après-midi. Loin d'être une spécialiste avertie, deux choses l'ont cependant interpellé, le fond et la forme de la manif. Peu de rappels des revendications à l'origine du mouvement, plutôt l'expression de rares "finesses" à l'encontre du Président et son épouse, des fake news propagés par les plus hystériques du style "Macron, ce violeur d'enfants", des casseurs "chats-souris" chargés d'adrénaline à la recherche d'une bavure policière.
Sur la forme, les portables étaient tous de sortie, soit pour filmer en direct les opérations de dégradations des vitrines, les feux de poubelles ou de tranchés ouvertes par les travaux, soit pour pianoter ou lire, regarder d'autres vidéos, certains allant jusqu'à revenir par après pour re-filmer les images des dégâts provoqués auparavant dans la rue afin de les poster.
Que des cameramen-reporters youtubeurs avides de sujets ou sensations, des propagandistes à "l'insu de leurs pleins grés", des accrocs des réseaux sociaux, histoire de se mettre en scène et dire "j'y étais", des opportunistes à la recherche du scoop vendeur, genre tir de LBD, des haineux de la société, des agitateurs professionnels pour tirer les ficelles, des suiveurs, un peu de tout ? Pas possible en l'absence de faits vérifiés d'aller dans un sens ou un autre, de donner une réponse, à notre niveau d'observateur. Un point pourtant semble commun à un grand nombre, entrer dans l'exploitation du Life, de cette arme nouvelle de tout déstabilisateur politique ou non, de toute chaîne d'infos qu'elle s'appelle BFM ou TV France. Il fut un temps où pour voir les images d'une manif qui tourne mal, l'interview qui chauffe les foules, il fallait rentrer chez soi devant son téléviseur, soit une fois la bataille du jour terminé. Aujourd'hui, la moindre vidéo prise par n'importe quel manifestant, le plus petit des déchaînements vociféré dans un micro vrai ou faux peut faire monter instantanément ou maintenir l'adrénaline d'une manifestation pour aller vers le chaos redouté des policiers et des pouvoirs en place.
On est là, non plus dans un combat pour une démocratie plus juste, plus représentative ou directe, mais dans le pire des scénarios : terminer mai 68, refaire 1789, tuer le Roi et la Reine, amener le populisme au pouvoir avec rien de bien à la sortie comme l'histoire du monde peut le raconter. Le mouvement GJ est devenu destructeur très naturellement par la simple couverture permanente par les participants et en direct du mouvement se disant opprimé, matraqué par le pouvoir en place, à travers ses forces de l'ordre . Les flux lives ont fait 18,4 millions de vues, dont 13 millions sur facebook et 4,9 millions sur You Tube à la mi-janvier. RT France, accompagnateur de la communauté des GJ, avec ses 70 journalistes et ses millions de Poutine, a explosé ses audiences et ses abonnés. Les médias traditionnels donnés comme "élitistes" ont été défiés par le live diffusable vrai ou faux et visible sur téléphone. Un chiffre qui ne peut manquer de faire réfléchir sur le poids de ces diffusions "10% des Français pensent que la tuerie de Strasbourg au marché de Noël est un complot"...
Dès lors, peut-on vraiment croire que ceux qui chantent l'avènement de la démocratie directe du 2.0 soient vraiment purs, que la réponse aux problèmes est dans la libre participation citoyenne tous azimuts, qu'elle va résoudre les problèmes individuels, qu'elle est l'avenir ? Notre démocratie repose sur des fondements normatifs et libéraux avec un modèle social inégalé au monde. Ne laissons pas la place à la théâtralisation des fractures sociales pour montrer des faiblesses des sociétés occidentales, mais quel régime n'en a pas, pour déstabiliser tout simplement notre pays parce qu'on veut le pouvoir.
Si nous fonctionnons de plus en plus difficilement entre nous, il faut peut-être aller là où cela fait vraiment mal et poser la vraie question ? Pourquoi cette ère actuelle des réseaux sociaux séduit-elle autant au point de remettre en cause la façon de vivre de toutes les populations mondiales ?
Une réponse pourrait se trouver dans la solitude qui gagne les populations mondiales ( (The Rise of Living Alone and Loneliness in History de K.D.M. Snell). Dans les années 60, les ménages composés d'une seule personne étaient l'exception (10% de la population). Aujourd'hui, dans les grandes métropoles mondiales, les solos représentent 40% de la population. Choix de l'urbanisation grandissante, hausse des prix de l'immobilier au mètre carré, coût de la vie au quotidien, choix d'égalité de carrière homme/femme mènent de plus en plus à la baisse de natalité, de mariages, de hausse des divorces, avec en arrière plan la solitude qui peut aller avec.
A côté de cela, les adeptes des réseaux ne cessent de croître et les plateformes qui vont avec. "En 2018, les utilisateurs d’INSTAGRAM (détenu par FACEBOOK soi dit en passant et valorisé 100 milliards de dollars..., merci les accrocs) ont publié près de 50 000 photos à la minute. Sur TWITTER, ce sont quelque 470 000 tweets qui étaient postés sur la plateforme chaque minute". La population mondiale vit de plus en plus seule, mais connectée aux autres, à des inconnus, appartient à des communautés, se retrouve dans des mouvements.
Mais là où se trouve le fond du problème, le paradoxe, voire la grande misère, c'est que parallèlement si les accrocs des réseaux sociaux se comptent par millions, leur nombre de personnes considérées comme proches ou intimes, voire des confidents a chuté de plus d'un tiers... Il fut un temps où l'on allait parler, se réconforter auprès d'un curé, aujourd'hui on les voit comme des pédophiles, on vivait auprès de ses grands parents, on les met dès qu'ils gênent dans les mouroirs, on avait les frères, sœurs, cousins, parents, ils sont séparés, les fratries éclatées dans l'hexagone ou dans le monde, on avait les grandes fêtes familiales tout au long de l'année, les liens de solidarité dans les villages, aujourd'hui on se rencontre sur des sites, on boit dans les teufs, on s'enfume le cerveau, plonge dans les psychotropes, on courre derrière des idéaux, le rêve, mais au final toujours plus seul(e), une fois l'iPhone coupé, si on le veut quand il n'est pas à côté du lit. Aujourd'hui, on parle de likes, de nombre de vues, d'abonnés, de moins en moins de potes à la vie à la mort.
Et si la vraie vie personnelle ou en société et le salut de la démocratie étaient dans le combat du 2.0 permanent, en passe de devenir une sorte de roue de secours à un vrai grand problème de société, la solitude rurbaine galopante ? Vivre ensemble sur un rond point, manifester ensemble dans la rue, manger ensemble à la cantine, partager des histoires, des photos, des haines, des commentaires d'actualités ou de faits divers donne certainement un sentiment d'existence, de vivre des histoires communes, d'appartenance, de libre expression, de force et autres émotions ou plaisirs, mais ce temps passé (perdu ?) à jouer du pouce sur un écran et un clavier rend-il vraiment plus heureux, plus accompagné ? La relation virtuelle c'est du budget personnel mais fait gagner beaucoup d'argent aux GAFAM sans retour vers ceux qui les nourrissent comme les GJ, c'est vivre avec l'illusion d'amis alors que les vrais s'entretiennent, c'est faire généreusement don de ses données personnelles pour mieux faire vivre ceux qui les exploitent ou veulent influencer nos vies, c'est devoir trier en permanence entre le vrai et le faux.
Alors si la démocratie 2.0 doit être le nouveau modèle de démocratie sous prétexte de donner le ou du pouvoir aux citoyens et non plus à leurs représentants ??? Pour moi, c'est comme les adjudications à venir des chasses domaniales de l'ONF, fuyons !