Le 30 mars et le 1er avril, Lorraine et Bas-Rhin ont dérogé à l'obligation de confinement, Covid 19 oblige, en autorisant notamment les sorties en tir de nuit et l'agrainage linéaire, selon des modalités certes différentes, mais dans l'objectif de prévenir les dégâts de sangliers à venir sur semis de maïs.
"La balle" est donc dorénavant entièrement entre les mains des chasseurs, offerte sur un plateau empoisonné sous la pression du monde agricole, craignant une non-indemnisation de ses dégâts, la chasse individuelle et collective étant totalement interdite durant le confinement.
L'objectif premier n'est donc pas vraiment de donner aux chasseurs exposés aux sorties de sangliers dans les cultures les moyens d'agir, mais de les empêcher juridiquement de contester ultérieurement la pleine responsabilité des dégâts. Dorénavant, si un chasseur ne veut prendre le risque de sortir de nuit pour les sangliers ou de jour pour les corbeaux et freux, libre à lui. Pareil pour l'agrainage linéaire. S'il ne veut en faire ou s'il n'est pas équipé d'un épandeur mécanique et ne veut s'en acheter un, encore libre à lui. Mais en cas de dégâts, il aura la facture.
Par ailleurs, que le chasseur ne sache quoi faire de la venaison, les analyses trichines n'étant pas en ordre de marche, n'est, dans le même ordre d'idées, pas le souci de l'Administration non plus.
Enfin, il est dit aux chasseurs, vous êtes en période de destruction, ce qui veut dire, l'obligation de tirer tout sanglier qui se présente quelque soit son poids, âge et sexe, et de l'autre il lui est demandé d'épargner tout sanglier au-dessus de 40 kgs pour permettre à une personne seule de se charger du transport. Comme quoi il est aisé de faire dire à la loi ce qu'on veut lorsqu'on la fait, d'autant plus qu'il existe des chasseurs en capacité physique ou matérielle de s'occuper de suidés tirés bien plus lourds, notamment ceux qui mettent tout en œuvre pour être efficace en tir de nuit.
Reste un dernier point à "lire entre les lignes", le refus de pouvoir faire du linéaire manuellement. Prêterait-on au chasseur en forêt l'idée opportuniste de faire de l'épandage "étendu" poche de maïs sur le dos, en lieu et place de la Kirrung à raison de 5L par poste comme inscrit dans le Schéma cynégétique, actuellement interdite ? Probable, en tout cas cela sent la défiance et montre combien le monde de la chasse a perdu la main ou à décharge combien les pratiques des uns et des autres sont connues.
Loin de moi de décrier la dérogation "tir de nuit" accordée, c'est la seule arme à disposition du chasseur de plaine et de petit gibier sans bois, exposé aux sorties de sangliers. Ce qui est désagréable, c'est le "fais pas ci, fais pas ça" imposé aux chasseurs, les suspicions qui compliquent la clarté des prises de décisions administratives, l'obligation faite aux chasseurs de mettre en permanence "le petit doigt au pantalon", les collusions avec le monde agricole et forestier non au nom de l'équilibre agro-sylvo cynégétique continuellement avancé, mais uniquement au nom de la peur de ne pas recevoir les indemnisations à la hauteur attendue.
Faire le procès des chasseurs, les réduire de plus en plus au rôle de simples payeurs sans droits pour à terme les dégoûter de louer des territoires, rêver d'une nature sans chasse auto-régulée si ce n'est ponctuellement à travers des équipes d'agents dédiés, tuer la ruralité sont autant de jeux dangereux susceptibles de conduire vers ce qu'Olivier Dassault vient d’appeler "la radicalité risquant de mener vers un séisme économique et civilisationnel".
Gare à la démoralisation.