Lorsque vous lisez la justification des arrêtés préfectoraux concernant le tir de nuit des sangliers dans le 67, vous retrouvez toujours en mots clés les termes de "destruction", "d'indispensable", de "poursuite" des mesures antérieures, de "protéger" les cultures, de "réduire" les populations.
Avec l'introduction du couvre-feu depuis le vendredi 23 octobre à 0h, pschitt, tout s'arrête brutalement, de facto, les suidés sont à nouveau passés en "open bar", libre de détruire les zones agricoles exposées comme bon leur semble. Pourquoi ? Par absence de mise en place en parallèle avec l'instauration du couvre-feu, de la mesure dérogatoire permettant de justifier la présence du chasseur de nuit sur le terrain pour, comme le veut la formule, "participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative".
C'est ce qu'on appelle sans doute "la lenteur administrative" en France...
Maintenant, qui cette discontinuité d'action préventive dérange-t-elle ? Sans doute pas, ceux qui préparent les battues sur les chasses mixtes, (il suffit de voir le nombre de prélèvements de la semaine dans notre point de collecte des prélèvements, zéro), sans doute pas ceux qui voient dans la chasse de nuit, un manque d'éthique ou autres "fausses barbes" pour ne pas la pratiquer, vraisemblablement pas ceux qui sortent occasionnellement selon la météo et pas trop tard dans la nuit, voire les "opportunistes" qui ont juste saisi l'occasion pour s'équiper en optiques diverses et variées, sans doute pas l'instance départementale des chasseurs pas au fait du rôle et déroulement de la chasse de nuit. Seule donc doit être irritée une petite minorité de chasseurs véritablement impliqués dans la lutte contre les dégâts aux cultures, car tout simplement ils vont voir leurs efforts et sacrifices réduits à néant sur les dégâts de prés en quelques jours de laxisme. Il suffit de voir ce qui s'est passé hier soir sur notre territoire pour imaginer ce qui va se produire dans les prochaines heures. Huit sangliers sortis d'un côté avec un tiré à 21h20, de l'autre présence bruyamment entendue de sangliers à 22h45 en forêt, mais laissés à 23h pour être de retour à la maison avant minuit.
Uniquement par absence d'un simple morceau de papier, les agriculteurs vont pouvoir en remettre une couche, alors que la défaillance n'est pas, pour une fois, du côté des chasseurs. Bien sûr, il nous est dit que le sanglier reste chassable en battue et à l'affût jusqu'à l'heure légale (19h30), mais quand les sangliers sortent hors forêt à 21h-minuit et 1h du matin, on fait quoi ? On fait quoi, lorsque le territoire est sans bois, mais archi fréquenté dans la nuit ? La réponse est : "rappelez semaine prochaine".
A un moment, il devient impératif de se poser les bonnes questions, en fait une seule : qui est responsable de quoi ? La forêt, les "plainards sans bois", les cultures, les agriculteurs, les éleveurs, l'ONF, l'Administration, les instances de la chasse, les patrons de chasse, la COVID ? Chacun selon son appartenance et son beefsteak à défendre va bien sûr y aller de sa chanson. Au résultat, "ce n'est pas moi, par contre les autres". Alors je vais faire comme tout le monde, parler pour ma communauté, "les plainards", sous forme de fiche :
IDENTITE : patron de chasse de plaine sans bois ni biotope à sanglier,
TERRITOIRE : 900 ha de plaine totalement dédié au petit gibier, lièvres en particulier
PARTICULARITES : forte exposition annuelle à la sortie de sangliers sur seulement 150 ha de prés et de cultures directement adossés aux domaniales, donc soumis à la gestion des densités par la forêt, à la capacité des tenants du sanglier, gibier principal, à garder les populations en milieu boisé.
SPECIFICITE : totalement dépendant de la politique d'agrainage en forêts domaniales, en particulier de l'arrêt de tout apport de nourriture à partir du 1er novembre
NIVEAU D'ACTION de 0 à 10 : 1, sous la seule forme du tir de nuit, lui-même soumis aux mesures réglementaires prises par l'autorité administrative
NIVEAU PERSONNEL DE RESPONSABILITE DES DEGATS : de 0 à 10 : 0, tout simplement parce que nous respectons l'obligation de moyens pour tenir les dégâts, cf nombre de miradors et d'échelles, partenariat partiel avec la forêt, niveau des équipements pour le tir de nuit, pression annuelle mise sur les sangliers de nuit, niveau des dégâts historiquement enregistrés par le FIDS 67, parce que nous remplissons l'obligation de résultat, cf tableau consolidé par les analyses trichines des tirs destiné au louvetier
NIVEAU COLLECTIF DE RESPONSABILITE DES DEGATS de 0 à 10 : 10, car le territoire de par la force des choses engendre et abrite les dégâts, car depuis 2008 le FIDS intègre la totalité des surfaces non boisées dans le paiement de sa facture des contributions complémentaires
NIVEAU PERSONNEL DE RESPONSABILITE DES DEGATS ACTUEL de 0 à 10 : 0, avec le couvre-feu plus de sorties possibles, or il a plu ce qui provoque automatiquement sortie de sangliers, et quelques heures de présence sur une nuit et un seul sanglier suffisent à dévaster un pré ou un champ semé de blé.
OBSERVATION COMPLEMENTAIRE : la forêt est entièrement dépendante de nos actions et résultats en termes de montant des dégâts pour pouvoir poursuivre impunément la chasse du sanglier; situation encore aggravée avec l'arrêt hivernal de l'agrainage dissuasif. A défaut, elle entre en point noir, avec perte de sa gestion des suidés, cf les obligations de résultat imposées, le risque de battues administratives, voire de piégeage à venir.
En résumé, tous les territoires identiques au nôtre sont otages,
- un, de la qualité ou de la défaillance de gestion des sangliers par la forêt
- deux, des décisions réglementaires prises autour du tir de nuit
- trois, des visions ou des choix pris en matière d'agrainage dissuasif
- quatre, des visions différentes du rôle du tir de nuit, outil destructif pour les uns, outil financier pour réduire le montant des dégâts pour les autres, en aucun cas mesure prioritaire préventive pour empêcher l'arrivée de dégâts. La finalité des sorties nocturnes n'est pas de pouvoir tirer du sanglier comme à un affût à la Kirrung, mais de pouvoir être présent en amont avant l'arrivée des dégâts, au pire pour les stopper.
Parvenir à un niveau de dégâts acceptable, supportable par tous n'est possible qu'à partir d'une volonté de chasse de nuit sans faille et interruption des chasses dites mixtes, d'une coopération des chasses de "plainards" proches des forêts, d'une politique "intelligente" de l'agrainage dissuasif des territoires forestiers à proximité de cultures à risques en hiver. A l'heure actuelle, ce "compte n'est pas bon", au contraire la chasse est entrain de perdre complètement la partie au point qu'on peut s'interroger si l'augmentation des dégâts n'est pas l'aubaine attendue pour faire table rase de sus scrofa en forêt.
En vérité, tout le monde sait où le bas blesse, (cf. droit de tirage de dégâts), c'est le financement des dégâts et plus précisément par la contribution de base, actuellement fixée à 12% du prix du bail. Bons nombres de territoires de forêt estiment à tort ou à raison selon les cas, contribuer pour les "autres". Ce débat a conduit à la création des FIDS, le Syndicat des chasseurs en forêt, estimant alors qu'il payait pour la plaine. C'est un échec absolu, ni la problématique des dégâts, ni celle de la répartition de la facture à payer et encore moins celle de la gestion des densités n'a été réglée. Au bout de quinze ans d'existence, on en est au même point, à une exception, le sanglier doit être détruit, à force de ne voir dans l'animal qu'un ESOD provoquant une facture pour le chasseur et une colère chez l'agriculteur et dorénavant aussi auprès de la forêt, domaniale comme privée.
Belle réussite.