La chasse représentait tout pour toi. Elle était la seule, avec tes terres du Kochersberg auxquelles tu étais viscéralement attachées, à pouvoir te faire surmonter les épreuves de la maladie. "Je veux à nouveau pouvoir chasser" répétais-tu au fond de ton lit d'hôpital, lorsque tu as dû faire face à de rudes traitements, il y a plus de vingt cinq ans.
C'est avec cette force mentale que je t'ai connu par les hasards de la vie, certes secoué, mais debout, dans les bottes, fusil en main, à Betschdorf. Un petit Jimmy avait remplacé ta légendaire 2CV, les repas soigneusement mixés par ton épouse et sortis du thermos faisait partie de tes contraintes, mais l’œil et le pied restaient bons.
L'ouverture du ramier le 23 août, pour rien au monde tu ne l'aurais manquée. Passer à proximité de ton Lebeau-Courally, caché dans un maïs, était souvent fatal pour la palombe en vol vers les prés et les champs de la cité des potiers. Mais si la "fièvre bleue" commençait ta saison au petit gibier, histoire de tester sur le terrain ton épauler et l'état de ton swing travaillés à blanc dans le salon , le lièvre restait ta préférence. Là aussi tu excellais et faisais des envieux, à commencer par moi. Dans un carnet, tu notais tous tes tableaux. C'est cette adresse aux lièvres qui t'a ouvert les portes du territoire de Weyersheim du temps de la corne d'abondance et d'élargir tes opportunités de chasse.
Avec le déclin du petit gibier et la montée de la fièvre noire, tu es devenu comme beaucoup tributaire des battues. Nombreux sont tes récits de triplés de sangliers, mais le tournant pris vers la chasse marchande, avec l'ambiance qui changeait, te déplaisait beaucoup. Ta préférence restait la chasse individuelle au brocard. C'est sur les terres de Nordheim que tu as prélevé tes plus beaux trophées et pas un jour ne passait sans que tu ne les regardes de ton fauteuil au salon. Sûr que de la haut tu continues à les admirer.
Alfred Lobstein fait partie des tous derniers chasseurs qui ont eu la chance de connaître les glorieuses années du petit gibier. Si quelque part dans le monde de l'après il existe un endroit où il peut être, c'est là où les renards courent avec les lièvres, où les palombes volent avec les autours, où les brocards s'amusent des chamailleries des marcassins.
Waidmans'ruh, Freddy