En 1961, quand j'avais dix ans, j'étais scolarisé en externe à Strasbourg, avec ma sœur de quatre ans mon aînée, où nous vivions comme des grands, seuls en appartement (bonjour les services sociaux de notre société d'aujourd'hui et merci à nos parents de nous avoir donné cette vie inédite d'enfant). Le mercredi soir à la sortie d'école, nos parents nous ramenaient à "Diebo" pour passer le jeudi dans notre milieu ambiant, nos terrains de jeux, faits de nature, pêche et chasse. Nous n'avions de téléviseur, n'écoutions la radio que pour la seule musique, le téléphone ne sonnait que pour de l'important, personne ne nous prenait la tête avec de "l'actualité" ou des faits divers. En aucun cas, les problèmes politiques ou de sociétés ne pouvaient nous toucher et encore moins troubler notre insouciance.
En 2022, ma petite fille a dix ans et vient à son cours de poterie de réaliser un Poutine, tête coupée dans la main droite au milieu de soldats ukrainiens à gauche et russes à droite...
En 2022, elle pense ne pas avoir d'enfants plus tard dans un monde frappé de Covid, en guerre et susceptible d'être détruit par le changement climatique...
En tant que "papy", son Poutine qu'elle voit décapité pour le punir d'avoir mis à feu et à sang un petit pays voisin, convoité pour des tas de mauvaises raisons et d'avoir mis dans l'exode femmes et enfants de son âge, je ne peux qu'"être émerveillé par la profondeur de son observation et la puissance de son imaginaire", comme l'a souligné une amie chère.
En tant que "vieux", nostalgique de son temps, forcément toujours meilleur que l'actuel quelque soit la génération, je ne peux qu'être attristé de voir combien notre société, nos adultes, nos écoles, nos médias imprègnent le cerveau de nos enfants et finissent par le remuer, le rendre adulte bien avant l'heure, voire le priver de ce que nous appelions la jeunesse.
De mon temps, les questions existentielles se sont posés bien plus tard, plutôt avec les cours de philo et la maîtrise de la trilogie rédactionnelle, "thèse-antithèse-synthèse". Aujourd'hui, l'orthographe, la grammaire, le vocabulaire sont devenus secondaires, le franglais, l'écriture phonétique, l'appartenance, l'apparence, l'influence, rythment les contacts sociaux, la nature devient une lutte écologique mais ne se vit plus, le futur professionnel se voit en start-up, la relation amoureuse en pangenre, bigenre, transgenre, cisgenre, autour de ce qui est appelé l'auto-identification de genre, bref que des thèmes qui ne pouvaient préoccuper les plus de 70 ans.
Pourtant, les années 60 dites "révolutionnaires", avec les révolutions agricoles, la modernisation de l'église catholique, Woodstock, Mai 68, le printemps de Prague, la construction du mur de Berlin, la guerre d'Algérie et du Vietnam, la dénucléarisation, avaient aussi de quoi largement troubler les esprits, mais pas des gamins de dix ans.
Alors société à maturité précoce ou jeunesse préservée des problèmes d'adultes, c'est comme "boire ou conduire", à chacun de choisir.