Avec l'évolution de la société, la chasse se doit, elle aussi, d'évoluer sous peine de voir sa propre existence menacée. Pour autant, elle n'a pas à culpabiliser sous prétexte qu 'elle a perdu son caractère vivrier au fil du temps, pour devenir une pratique sportive, voire un loisir comme aiment à le souligner les contradicteurs.
La chasse reste aujourd'hui encore incontournable de par sa dimension sociale, environnementale, économique. Elle reste une activité d'intérêt général ne serait-ce de par sa contribution à l'aménagement des territoires, à la vie des espaces ruraux et à la régulation de la faune sauvage, en particulier celle sans prédateurs naturels.
Mais enfermer, cloisonner la chasse dans un rôle, la voir sous forme de facteur économique ou de développement présente le risque aussi de la mettre sous tutelle, de la mettre sous surveillance permanente et au final de la confiner à des missions.
Directives, arrêtés, mesures, plans, lois se succèdent ainsi ces dernières années à un rythme trop accéléré pour ne pas craindre que la chasse ne perde ses derniers espaces de liberté et d’insouciance encore disponible.
Si la chasse se doit d'obéir à des règles strictes notamment parce que tout comme l'homme en général, la communauté des chasseurs manque de capacité d'autodiscipline, l'enfermer dans un code de chasse pour être « politiquement correcte » serait une erreur, un danger fort pour son existence.
D'un autre côté, si la réglementation vient de plus en plus contrarier la pratique, c'est aussi parce que la chasse devient de plus en plus citadine, avec la tendance à confondre « excursion rurale » pour quelques heures et gestion de la faune sauvage.
Enfin, elle devient également, pour échapper à la contrainte réglementaire omniprésente et aux opposants , de plus en plus privative ou élitiste avec une chasse sélective par l'argent ou réservée au commerce et aux propriétaires.
Argent et écarts sociaux font rarement bon ménage. Jusqu'à présent la chasse gommait les inégalités de naissance ou de fortune, mais en se repliant vers des domaines et des parcs, la chasse « réservée » va décapiter la chasse dite populaire au sens noble du terme...
La « normalisation » à l'excès, la « socialisation » des espaces naturels sont donc les deux portes d'entrées idéales pour « tuer » la pratique de la chasse. Les opposants l'ont très vitre compris.
Il suffit à cela d'ajouter une pointe de « bambisme » auprès des jeunes générations et d'utiliser opportunément tout manquement à l’éthique ou d'exploiter les fait divers crée par les chasseurs pour communiquer sur la cruauté ou les dangers de la chasse et le train de la fin est en marche.
Dans ce climat de suspicion à l'encontre de la chasse, le monde des chasseurs cherche tout naturellement à se défendre. Mais souvent il le fait avec maladresse, avec tendance à vouloir trop valoriser l'image de la chasse écologique, à rendre plus acceptable la prédation par la notion de régulation des espèces. Mais pourquoi diantre refuser le débat sur l'essence de la chasse ?
Des centaines d'ouvrages, revues ou films parlent de l'art de la chasse. Lorsqu'elle est pratiquée par des « gens de qualité » avec une « culture chasse », l'observateur, sauf le plus sectaire ou le plus refermé sur sa vision personnelle, peut accepter notre démarche.
Lorsque derrière le chasseur se cache l'homme « détestable », le mode de chasse, y compris celui qui se réfère éventuellement à une tradition, l'acte de prédation risque d'être préjudiciable à l'image.
Or la chasse relève avant tout de l' « ordre naturel des choses ». Certes nous ne sommes plus à l'époque de la chasse vivrière, mais sans la chasse nous ne serions tout bonnement pas là. C'est seulement avec la sédentarisation et l'apparition de l'élevage que la « traque d'animaux dans le but de les capturer et de les abattre » (Wikipedia) est devenue un passe temps voire un privilège. Aujourd'hui, le temps des joutes épiques entre l'homme et l'animal est révolu. Pour autant, l'évolution sociétale n'a pas encore totalement réussie à effacer de nos gênes, l'adrénaline de nos ancêtres où la survie passait par le combat avec la nature. L'immersion dans la nature par la chasse reste dès lors la seule possibilité de retrouver ce « monde perdu » pour l'homme moderne. A la limite si le chasseur ne levait pas le « tabou de la mort », très présent dans notre société, il laisserait beaucoup plus indifférent, à l'image du pêcheur. Sans la communication du « no kill », la pêche serait tout autant décriée, pourtant dans la pratique elle est tout aussi critiquable. Certes on relâche après la prise, mais qui se soucie du devenir du poisson et de son état ? Restera-t-il réellement en vie ou crèvera-t-il au fond de l'eau des suites de sa capture ? Peu importe, personne ne le saura ou le verra, donc la conscience peut dormir tranquille.
Même si aujourd'hui, la chasse tradition est souvent mise en avant, elle n'a plus grand chose à voir avec la chasse de survie de nos ancêtres où la notion de bien être animal ne hantait en aucun cas les esprits. Le chasseur-cueilleur avait alors une fonction, et l'animal sauvage jouait le rôle d'animal de rente en l'absence de domestication.
Pourtant on continue d’appeler l'homme armé d'un fusil dans un espace naturel, le chasseur. Ne serait-il pas temps d'inventer un néologisme pour tenir compte de l'évolution de la notion de chasse,de son rôle, de son sens ?
Personnellement, je me qualifie de « cynomane » en reprenant la racine trouvée dans cynégète-cynégétique-cynophile, soit celui qui aime la chasse et le chien. Ainsi le « cynomane » est-il un homme qui pense, parle, vit par la nature, le chien et la faune.
Pour nos voisins allemands, le chasseur, à travers le fameux "hegen und pflegen", est celui qui "préserve et s'occupe" de la faune sauvage. De fait, si on regarde d'un peu plus près notre communauté, nous avons aujourd'hui essentiellement des chasseurs qui viennent à la chasse pour tirer, soit comme invité au sens noble du terme, soit comme partenaire, soit comme "invité payant". Leur souci principal n'est donc pas forcément le "bien être animal", qu'on retrouve dans le "hegen und pflegen", mais plutôt la réalisation d'un tableau personnel sur une journée ou un weekend, un retour sur investissement et l'envie de passer un bon moment de convivialité entre "amis". Une fois "son affaire faite", il retourne à la ville et attend la prochaine opportunité ou date de chasse.
Il n'en est pas de même pour celui qui s'occupe jour après jour d'un territoire.
Il n'en est pas de même pour celui qui voue sa passion à la sauvegarde du petit gibier naturel, car sans sa présence permanente et ses soins, la faune sauvage a peu de chances de se maintenir dans nos plaines inhospitalières. Pour ce type de chasseur, l'amour de son territoire est fusionnel avec son gibier, comme cela peut être le cas du fermier pour sa basse cour ou son bétail qu'il va pourtant un jour, lorsqu'il l'a décidé, mener à l'abattoir.
Pour ce type de "chasseur", prélever peut dès lors devenir un acte douloureux ou triste, ne s'y attacherait un plaisir plus fort, celui de la table et du partage de la venaison. Le fait de lui "rendre les honneurs" prend alors tout son sens. Il m'insupporte de voir que cette tradition si fortement ancrée en Alsace soit juste encore un rite, voire un folklore sur certaines chasses de grand gibier où souvent une partie des chasseurs est déjà sur la route du retour à ce moment là.
Mais pour le grand public, point de différence, tout le monde est mis dans le même sac.
C'est assez détestable, ce n'est pas très "fair" comme dirait nos amis anglais. Non, les chasseurs ne sont pas tous "du dimanche" , avec ou peu d'éthique, non les chasseurs ne sont pas tous des "fous de la gâchette" ou des adeptes de "la galinette cendrée".
« La chasse est une passion qui rend pairs et compagnons le roi et la garde, le gentilhomme et le goujat » disait le Marquis de Foudras, encore faut-il que les valeurs leur soient communes.
Dominique Venner dans son Dictionnaire amoureux de la chasse présente à mon sens très bien le virage à prendre pour la chasse et les chasseurs. Pour lui une nouvelle race de chasseurs est entrain de "couper avec l'ancienne mentalité du tableau". "Finie l'idée de consommer la nature. A la façon des chasseurs à l'arc qui passent le maximum de temps pour le minimum de prélèvement, ils ont rompu avec la logique économique et touristique. Ils refusent donc avec horreur les innovations techniques permettant d'atteindre le résultat de façon plus facile . Ils se forcent à marcher, répudient à la chasse les téléphones portables, refusent les bipeurs électroniques commercialisés pour retrouver plus facilement qu'avec la traditionnelle clochette les chiens à l'arrêt devant une bécasse. S'ils perfectionnent leurs carabines, ce n'est pas pour tirer plus et plus facilement, mais pour tirer mieux, sans blesser. En clair, la nouvelle éthique refuse le plus facile pour le plus difficile. Elle privilégie la poésie au détriment de la quantité. Elle suppose avant tout une autolimitation volontaire. Elle affirme que le bonheur n'est pas dans le tableau mais dans la quête".
Puisse cette nouvelle manière d'aborder la chasse gagner en force contre la chasse de loisir et scoreuse ou la "trophéïte", si préjudiciables à notre communauté.
Celui qui ne veut ou peut rentrer dans une "stratégie du changement" a aujourd'hui d'autres options pour se "faire plaisir". Il existe maintenant dans beaucoup de régions de très beaux parcours de chasse où l'on peut faire de la cartouche ou des" cyné'tirs" où par simple clic on peut se faire des cartons virtuels sur du sanglier, de l'éléphant ou du lapin en une même séance.
J'ai cependant des doutes car toute une génération et même les plus âgés de nos chasseurs ont été contaminés par la recherche du score, procurée par les battues aux sangliers. La première question quand en fin de traque les chasseurs remontent la ligne des postés en chasse collective hivernale, c'est de savoir "combien de cochons a fait le voisin ". Souvent, même celui qui a eu la chance ou l'adresse de tirer une pièce fait la grimace de jalousie quand "l'autre" a fait un triplé, voire plus au même poste.
Non le sanglier en battue ne rend pas égaux tous les chasseurs. La majorité est tirée par les mêmes, rares sont les chasses où le "patron" pratique le tirage au sort des postes pour tous.
Qui aujourd'hui accepte encore en Alsace de battre les champs sur des labours boueux en novembre pour un lièvre éventuel ? D'abord c'est physiquement fatiguant et chercher le gibier n'est plus dans les mentalités. On préfère de loin la "chasse de chaise" et "des gilets rouges" où les chiens entourés de quelques traqueurs font le boulot pour l'amener devant les fusils.
Je préfère de loin battre la campagne, voir le travail de mes chiens, faire lever une pièce à l'un de mes amis, voire rentrer bredouille que de rester figé de longues heures, coincé dans mon angle des 30° entre deux fanons rouges, avec des consignes de tir de taille, de sexe ou de poids à vous faire stresser quand par hasard un grand gibier passe à portée.
La chasse garde aujourd'hui sa place et sons sens tant que nous restons avant tout des gestionnaires avisés des espèces et des territoires. La sauvegarde de la faune et en particulier du petit gibier peut se faire aussi par la chasse et pas seulement par la mise en réserve des espaces dits naturels ou par la création de zones de non chasse qui tôt ou tard amènent à des ruptures d'équilibre et à l'intervention de "régulateurs" pour détruire.
Le prix de la reconquête, c'est le refus des amalgames, l'exemplarité, la compétence, l'éviction des brebis galeuses, la chasse de proximité et non d'argent.
Encore une fois, dans cette refondation, 2015 devrait aider la communauté à faire ces bons choix, à travers la modification du Cahier des charges des Chasses communales d'un côté et des Commissions consultatives communales de chasse appelées dans le jargon "4 C".
"Plus l'homme est "moderne", c'est-à-dire urbanisé, plus sa détestation de la nature grandit. Il croit aimer les animaux en condamnant les chasseurs, sans voir qu'il obéit ainsi à une morale compassionnelle étrangère à la nature. En réalité ce qu'il déteste dans les chasseurs, c'est la part d'animalité, de vraie nature qui est encore préservée en eux."