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"24h chrono"  d'un gestionnaire d'une chasse de petit gibier

Une bonne partie de la saison se joue maintenant pour le gestionnaire de petit gibier. Une nouvelle génération de levrauts est en cours, les nichés de la plume sont en place, les faons sont nés. En face, les renards sont en pleine activité, en tout cas pour les couples avec progénitures. La plus grande vigilance, après un hiver de piégeage et de surveillance des terriers, est plus que jamais exigée de tous. A défaut, pourquoi prendre un territoire de petit gibier ?

"24h chrono" est le récit d'une journée type pour montrer que pendant que certains "courent" déjà le brocard en forêt, d'autres jouent les trappeurs et les gardes champêtres en plaine.

25 mai 3h45,

la fonction réveil du portable sort le chasseur du rêve d'un monde meilleur; il est temps dans l'obscurité totale d'enfiler les vêtements préparés la veille, pour, le plus silencieusement possible quitter la chambre sans éveiller le sommeil profond de sa moitié encore endormie.

Dans le couloir, le chien connaît le "protocole" mais n'a que faire des précautions de son maître, sa joie d'une perspective de sortie matinale prend le dessus sur sa capacité à l'auto-contrôle ou son degré de soumission.

Toujours dans l'obscurité, rencontre au bas de l'escalier de l'étage avec le deuxième chien, plus paisible, habitué à ne pas faire partie de la sortie du matin. Il sait qu'en contre partie, il aura droit à une ballade avec le fils du chasseur.

Le temps de passer par le débotté, de prendre armes, bottes, jumelle et vêtements adaptés à la météo du jour, d'ouvrir le portail et de démarrer la voiture, il est 4h.

4h25

arrivée à proximité du secteur repéré discrètement la veille comme un lieu possible abritant une portée de renardeaux : un tas de gravats formé de briques et plaques de béton. Le chasseur décide, le temps de voir le jour se lever de s'asseoir au sol sur un coussin en bordure du chemin avec vision sur la cible, le chemin en terre y conduisant et le champ à sa gauche utilisé depuis des générations de renards comme coulée. Pas question de passer à proximité de la tanière supposée, sans vision claire.

5h15,

rien aux abords jumelés en permanence, le chasseur décide de passer à proximité des gravats pour s'installer un peu plus loin sur un monticule de terre suffisamment haut pour dominer l'ensemble des lieux. Si la renarde a de la nourriture à apporter, c'est maintenant qu'elle va le faire.

6h,

rien en vue, même pas la tête d'un chevreuil dans les prés avoisinants ,il est temps de contrôler un collet à proximité posé pour piéger la renarde dorénavant seule, après avoir tiré le mâle en début de semaine dernière, le matin à partir d'un mirador. Pas le moindre indice de passage, pourtant le sol gorgé d'eau devrait laisser des empreintes. Des jeunes sont-ils vraiment cachés dans ce secteur ? Le collet est encore en place, la coulée n'a pas l'air d'avoir été foulée.

6h05

il fait bien clair, la pirsch reste la dernière chance de tomber sur la renarde, mais l'herbe des prés est haute. Qu'à cela ne tienne, il faut aussi faire un contrôle d'éventuelles sorties de sangliers, même si les champs restent sans semis, faute au printemps pourri. La rosée, la pluie de la veille rendent l'herbe mouillée, pas question pour autant de passer des cuissardes, trop bruyantes à la marche par rapport à l'ouïe trop fine du renard; tant pis pour l'inconfort du pantalon et des bottes mouillées. C'est le prix d'une éventuelle réussite.

6h15

constat : le seul petit champ de maïs semé dans le secteur est à moitié ravagé par les corbeaux qui ont soigneusement tirés un à un les plants germés pour en récupérer le grain. Le chasseur saura, si jamais l'agriculteur vient aux nouvelles sur les dégâts. A côté, dans le pré, un jeune six le regarde passer, il n'a même pas encore cherché les bracelets, bonne chance petit, chez lui tu n'as pas l'âge; ailleurs ? la limite du lot n'est pas loin.

6h20

une trace de passage d'un sanglier sur un labour, confirmation des constats précédents, ça circule épisodiquement, mais faute de nourriture appétante, les sorties restent occasionnelles et hasardeuses.

6h40

retour vers la voiture et contrôle des abords des gravats; plus de doutes, les croquettes pour chiens cachées en hauteur sous une plaque de béton ont disparu; plus loin vers le centre du dépôt un "Rammelplatz", l'aire de jeu de jeunes renards avec des plumes de poulets, un crâne de lièvre, un de plus au tableau; depuis mars, c'est la sixième pièce de gibier relevée, après une première portée de cinq capturée au terrier à Pâques sur un autre secteur.

6h45

le chien est heureux de revoir son chasseur; le Bergstutzen est rangé dans la housse, il est temps de contrôler les chatières posées depuis mars sans succès, dans l'enceinte d'une carrière d'extraction de terre. C'est une zone exploitée au sein du territoire de chasse, mais encore suffisamment naturelle pour abriter des ronciers, des adventices si utiles à notre petite faune. Privée et clôturée, elle n'est pas chassée, une réserve naturelle en quelque sorte. Grâce à la compréhension de son directeur et de son responsable sécurité, le chasseur a l'autorisation dorénavant de piéger dans ce refuge si propice aux renards. A terme cet espace pourrait être un lieu de sauvegarde pour les derniers faisans du coin; "l'espoir fait vivre"...

6h55

l'une des deux chatières avec cage à pigeons est fermée, encore un raté ou le vent ? non cette fois c'est un bon jour, un renard est blotti dans la cage. Yes. Merci Philippe et à son ingéniosité. Oter la vie à bout portant peut ou va offusquer, c'est autrement plus difficile à exécuter qu'un tir à 150 mètres ou en pleine course sur un gibier. Mais la sauvegarde du petit gibier est à ce prix. Le chasseur déteste l'omnipotence de l'homme sur le monde animal, mais aujourd'hui, l'agriculture, les routes, la prédation par manque de souris ou de mulots fait plus de mal à la biodiversité que la chasse. Sur les choix agriculturaux et les infrastructures routières, le chasseur n'a aucune influence. Sur la prédation, il peut intervenir pour espérer à un retour d'un équilibre entre densités chassables et non chassables. Sans la main de l'homme, le petit gibier, en particulier le lièvre au regard du renard disparaîtra totalement du paysage. Plein de personnes se battent pour sauver lions, éléphants, rhinocéros, gorilles et autres animaux emblématiques. Le lièvre, symbole de Pâques dans notre tradition et gibier anciennement phare de nos campagnes alsaciennes ne survivra que si nous l'aidons dans son propre combat pour la survie. Chaque levraut prélevé est une perte pour nos campagnes, mais qui en dehors du chasseur et de quelques écologistes s'en émeuvent encore ? Hasard, évolution ou simple déni, aujourd'hui on parle non plus de "Osterhaas" à nos enfants, mais de "lapin de Pâques" ? Le chasseur, lui aimerait encore pouvoir faire voir à ses petits-enfants, neveux et nièces à la sortie du printemps, des lièvres bouquiner en Alsace. Cela passe par un coup de 22 dans la tête au fond d'une cage.

7h05

autre surprise, une corneille est entrée dans la corbetière, pourtant sans appelants. Un épis de maïs accroché à l'intérieur aura suffit pour l'attirer; étonnant.

7h15

comme une récompense ou un réconfort après l'élimination du renard, quatre lièvres sur un champ; pas très loin un levraut de la taille d'un lapin détale vers un champ de houblon. "Tous les espoirs sont bons", combien de fois le chasseur n'a-t-il entendu cette phrase chez Freddy, son partenaire, la mémoire de la chasse alsacienne et à l'arrivée toujours le même constat, la densité de petit gibier régresse quelques soient les efforts de gestion entrepris; la nature, seule culture du chasseur, reste décidément trop fragile.

Ah ce fameux SMIC (voir l'article du 9 mai 2013), si seulement nos décideurs pouvaient être conscients de son impact réel sur la biodiversité et le paysage. Mais sont-ils prêts à prendre en compte ce qui peut provenir d'un chasseur ?

7h30

ballade du chasseur avec son chien resté au chaud dans la voiture jusque là, le temps de contrôler sur un autre secteur exposé aux dégâts de sangliers si des sorties sont intervenues. Rien de neuf, pas d'alerte rouge en vue, mais ce n'est que partie remise; encore un jeune six convaincu d'être invisible dans les hautes herbes. Même des joggeurs finissent par le voir. Sont-ils conscients que sans le chasseur, ils n'auraient pas ce spectacle de la nature sauvage ? Ca serait bien que notre communauté dispose d'un petit livret à distribuer aux "autres utilisateurs de la nature" pour passer nos messages, nos savoirs, nos besoins et attentes. Non ? UN Groupement de Gestion Cynégétique (GGC) avait émis et soumis l'idée à la Fédération. Mais depuis ?

8h

recherche d'indices de présence de renards dans un dernier secteur proche des habitations. RAS, pour autant cela ne veut rien dire, dans quelques jours, la donne peut avoir changé.

9h

repérage d'un 4X4 sur un chemin rural, pour quelle raison est-il là ? Une "filature" discrète est décidée. Il n'est pas du secteur dont acte.

9h30

retour à la maison, dans le monde civilisé,réel et non plus de la naturalité

17h

rassemblement des troupes, Philippe, le Mac Gywer du groupe et Thomas, le jeune en éveil de "conscience écologique" sont partants pour sortir ce soir.

20h 40

un poste est aménagé avec un filet de camouflage à proximité des gravats. Au moment de tester la fonctionnalité de l'emplacement un renardeau sort de la tanière, trop tard pour lui, Thomas sait être rapide, une fois la décision commune prise. Il est encore tôt et la renarde n'est certainement pas dans la proximité.

Les consignes à Thomas sont simples : attendre de connaître le nombre de renardeaux restants, trois ou quatre au maximum, privilégier la sortie improbable de la tanière de la femelle adulte, attendre le plus tardivement possible un groupement des renardeaux, oublier les consignes s'il le faut pour s'adapter à l'instinct, au ressenti.

21h

Le chasseur prend place sur une chaise transportable, fabrication maison de Philippe; ce dernier fait de même, à l'autre bout des champs de colza , l'antre supposée d'un autre renard adulte.

21h50,

le chasseur tire un renard, le temps de décharger, il disparaît; interrogation restée sans réponse.

22h

Philippe tire, un renard, le même, vraisemblablement. Deux mâles aussi proche l'un de l'autre serait étonnant.

22h15

récupération de Thomas, il a attendu les dernières lueurs pour en tirer deux, avec la certitude que le groupe était encore composé de trois renardeaux, en dehors du premier.

22h30

débrief rapide de la journée : cinq renards, mission accomplie au-delà des espérances.

22h45

trois échelles sont occupées dans la zone possible des dégâts de sangliers, à titre préventif; dans la forêt au loin, une "rave" bat son plein, vraisemblablement dans la baraque forestière de l'ONF louée au chasseur du lot... La nature, une discothèque gratuite, seul le chasseur s'interroge dans la nuit fraîche sur le sens de cette évolution, sur la perte de ruralité des jeunes et le respect de la quiétude des espaces naturels.

1h

retour à la maison, R.A.S. côté sangliers, une nuit sans dégâts de plus de passée.

1h30

il est temps d'aller reprendre des forces, tout à l'heure sera un autre jour

Dis toujours ce que tu ressens et fais ce que tu penses

Gabriel Garcia Marquez

Tag(s) : #Faune-Nature-Ecologie et Chasse, #Billet d'humeur
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