De par notre loi locale, le foncier agricole et forestier, sauf à être classé en réserve naturelle, a l’obligation d’être loué par les communes pour la chasse à une personne physique ou morale tous les neuf ans. Les baux en cours couvrent la période 2015 à 2024. Jusque là, tout va bien.
L’exercice de la chasse, comme chacun sait, est totalement encadré par le législatif et le réglementaire, de l’échelon de l’État à la Préfecture et département par département par le Schéma cynégétique, synthèse avant tout de ce que le chasseur doit faire et ne peut faire. Jusque là tout va toujours bien, enfin façon de parler.
Le prix de la chasse, la contenance du lot et éventuellement des clauses spécifiques sont repris dans un bail signé entre le preneur de la chasse et la commune, sur la base réglementaire d’un Cahier des Charges des chasses communales sorti par l’Administration préfectorale après de nombreuses confrontations, pardon réunions, entre toutes les parties prenantes (syndicats agricoles et forestiers, l’ONF, l’association des Maires, l’OFB, la Direction départementale des Territoires, la FDC). Jusque là rien de neuf. Si, depuis le dernier bail, pour bien définir les cases de mise sous contraintes du chasseur, un contrat d’intention sous forme d’une annexe intitulée « Projet de plan de gestion » a été ajoutée au contrat de location, histoire de bien faire comprendre au chasseur qu'il n'est pas libre de gérer son territoire comme bon lui semble.
Lors de tous ces actes et procédures, à aucun moment n'est soulevée une question pourtant primordiale, le lot de chasse est-il en fait tout simplement chassable, soit encore louable au regard notamment des textes relatifs à la sécurité, en particulier des non-chasseurs. Etonnamment, comme la poussière, les "interdits" sont mis sous le tapis, sont oubliés par tous, tant par les patrons de chasse oh combien responsables en cas d'infractions que par les bailleurs.
Pourtant, dans ce domaine il ne s'agit pas de préconisations, mais bel et bien d'interdits bien spécifiés dans le Schéma cynégétique DGCR.6.1.1 et qui empêchent de lâcher un coup de fusil ou de carabine n'importe où, qu'il soit sur du gibier ou un ESOD. Que nous dit-on ? Qu'il est interdit de tirer :
- "en direction et au-dessus des habitations, des routes, chemins publics, voies ferrées et des emprises de la SNCF, lorsque celles-ci sont situées à portée de fusil ou de carabine,
- en direction ou au-dessus des lignes de transport électrique ou téléphoniques ou de leurs supports,
- en direction des personnes ou des habitations lorsque le tir est susceptible de présenter un danger quel qu’il soit,
- en direction des stades, lieux de réunions publiques en général, habitations particulières (y compris caravanes, remises, abris de jardin), lorsque le tir est susceptible de présenter un danger quel qu’il soit"
"A portée de fusil ou de carabine", "tir susceptible de présenter un danger", autant de notions imprécises qui ne prennent de sens que le jour où la question se pose vraiment, comme suite à un accident ou une altercation avec un promeneur ou un riverain. Les données mises avec Geoportail sur plan satellite avec les zones concernées et le rayon mortel de 1.000 m pour une balle et 250 m pour une gerbe de plomb, l'affaire se présente bigrement autrement. De visu les "interdits" risquent tout simplement de montrer pour bon nombre de territoires de chasse leur "inchassabilité".
Lorsque sur un territoire vous avez quatre routes traversantes, un parking de stationnement et de covoiturage, un city ground, un stade de foot, un parc à poney, un centre équestre, quatre stabulations extérieures aux villages, un mini zoo, une remise avec moutons, une station d'épuration, des habitations isolées, une piste cyclable en place et une en projet pour relier Wissembourg à Haguenau et qui va traverser de part en part le milieu de la chasse, la question ne se pose même plus. Vous y ajouter l'appropriation de jour comme de nuit, des chemins privés de l'association foncière par promeneurs, joggeurs, cyclistes, cavaliers et vous oubliez la relocation de la chasse, car sur votre carte vous n'avez plus que des zones rouges sans possibilités de tir.
C'est qu'au fil des baux, les périphéries des agglomérations rurales et urbaines ont considérablement été artificialisées par des implantations en tous genres et que les bans communaux sont devenus de plus en plus des parcs de loisirs gratuits, chaque municipalité privilégiant naturellement le bien être de ses citoyens, au chasseur de s'adapter. Pour l'un la chasse est donc tout simplement un périmètre à louer par obligation, pour l'autre un espace avec une certaine valeur cynégétique et des conditions d'exercice acceptables, deux approches, deux chemins bien différents.
Jusque là, c'est le prix qui servait de négociateur, notamment par la procédure du gré à gré, au cours duquel les deux parties finissaient par "s'arranger". Aujourd'hui, cette approche n'est plus possible, les mentalités ont changé, un distinguo avec la Covid a été fait entre chasse de destruction et de loisirs, les textes contraignants encadrant l'activité se sont multipliés et surtout la sécurité a été mise au cœur des débats pour devenir un argument clé des opposants à la chasse.
Maires et Fédérations de droit local ne pourront plus continuer à tourner autour du pot ou se voiler les faces, la question de la "chassabilité" des territoires va devoir être traitée comme une priorité et non plus mise sous le tapis par accommodement entre amis.
La chasse sous droit local, avec l'obligation de location, était valable tant que nos territoires restaient de "beaux jardins", depuis lors beaucoup d'eau a coulé sous les ponts du Rhin, villes et villages ont explosé leurs périmètres et populations, les demandes de loisirs de pleine nature et les visions autour du spécisme ont modifié la position sociétale de la chasse et ce n'est que le début.
Il n'en reste pas moins que dans beaucoup de cas et de situations, sur un plan de ses obligations et engagements de responsabilité, le chasseur n'est plus en mesure de pratiquer le tir qu'il soit de loisir ou de destruction, soit par extension, de répondre à son devoir de réalisation des plans de chasse ou de contenir les dégâts de sangliers.
A ce stade, plus rien ne va bien.
Projet de plan de gestion