Lorsque devenus sédentaires nos ancêtres ont laissé entrer des loups dans leur vie, une cohabitation dictée par des intérêts réciproques a dirigé les premières relations. Nous étions alors bien loin de notre chien familier et de cet homme qui dorénavant impose grandement sa supériorité au monde animal. Quelques 400 races différentes de canis vulpus côtoient depuis nos vies pour le pire et le meilleur. Des batteries de législations, des critères d’appartenance à des standards dirigent dorénavant la vie de nos compagnons, alors que leurs ancêtres, les loups, restent combattus parce que leurs territoires empiètent sur le développement économique de ses lointains alliés, l’homme.
Dans notre soif de tout réglementer et diriger, nous dictons à présent au chien familier notre vision sur la place qu’il doit occuper auprès de nous, nous définissons pour lui les critères du bon chien et du chien sociétalement correct. Par la domestication le canis vulpus a donc fini par devenir un animal de compagnie, entièrement dépendant de notre espèce.
Si au fil des siècles, de primitif nomade nous sommes devenus des homos economicus, le chien, lui a passé avec l’homme de l’entente à la relation, avant de se rapprocher dangereusement aujourd’hui de l’humanisation. Si cette mutation a en général été favorable à l’hominidé, c’est devenu un drôle de parcours pour nos canidés, avec à la clé une forme de socialité* quelque peu fortement bouleversée, contrairement à son ancêtre le loup. (* Relations réciproques entre individus d’une même espèce pouvant échanger des signaux intégrés tant par les émetteurs que par les récepteurs).
Ainsi, nos relations avec nos compagnons canins ont-elles profondément changé à partir du moment où leur place auprès de nous a changé.
De chien utilitaire à l’origine, ils sont passés aujourd’hui au rang d’animal de compagnie. Ils vivent dorénavant à proximité de nous, avec un rôle à remplir, avec des attentes, conscientes ou inconscientes, à combler comme l’illustre bien une étude australienne de Salmon P.W. et Salmon I.W. (13). Neuf fonctions différentes peuvent ainsi être répertoriées :
46 % des propriétaires voient dans le chien un compagnon (une présence, quelqu’un à s’occuper).
27 % un gardien
10 % une source de joies et de distractions
5 % une source d’amour et d’affection
4 % un auxiliaire pour la chasse, des concours, des promenades
4 % un éducateur d’enfants
1 % un lien social dans la famille
1 % un objet de prestige
1 % un facilitateur de rencontres
Face à cette palette de désirs et d’attentes, difficile pour le chien de s’y retrouver. Mais il y parvient, car sa force est de pouvoir répondre pleinement à nos besoins, notamment grâce à son sens de l’adaptation, et plus encore sans doute, à sa capacité d’établir des relations. Comme aucun autre animal familier, il sait calquer son comportement à l’attente de l’homme.
Comme en plus il ne le juge pas et l’accepte tel qu’il est, il a tout pour séduire et ainsi être l’animal domestique le plus apprécié. Il lui reste néanmoins une limite infranchissable, contrairement à ce que beaucoup de personnes espèrent ou croient : il ne peut remplacer un humain. Il n’est qu’un animal social, qui, en l’absence d’autres congénères, se lie à l’homme pour éviter la solitude qu’il ne peut supporter, quitte d’ailleurs à accepter des mauvais traitements, le cas échéant.
Comme le souligne Boris Cyrulnik, c’est une véritable « éponge affective », avec cette capacité d’endosser les états d’âme de la personne, jusqu’à dégager un mal être, comme cela peut-être le cas au contact d’une personne dépressive par exemple.
Malheureusement en voulant le faire endosser un rôle de miroir, sa condition de chien s’en trouve souvent affectée et la tendance est souvent forte de vouloir le modeler en « canis humanis ». Reste que l’homme et le chien sont faits pour vivre ensemble, parce que peut-être justement les deux ont besoin, d’une sécurité affective mutuelle. La caresse illustre bien par exemple cette notion d’échange et d’apport réciproque qui chez l’homme entraîne une modification physiologique et chez le chien une modification du rythme cardiaque.
En tout état de cause, le chien familier dispose de toutes les qualités requises pour que nous puissions appuyer la relation sur une base émotionnelle et sur une communication à double sens et non à voie unique.
Encore s’agit-il d’éviter de placer le chien dans une attente trop forte car l’affect, voire le transfert, risque dans ces cas de dominer la relation. Le chien doit alors endosser un rôle de « messager » au profit de son propriétaire. Inconsciemment, il est alors là pour le valoriser, ou lui donner un genre, une appartenance, une image sociale, une forme de puissance, avec le cas échéant un droit de vie ou de mort.
Le chien n’est alors plus qu’objet, avec tous les drames liés à ce positionnement.
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« Notre comportement avec les animaux est souvent révélateur de nos conceptions de l’autre ».
Boris Cyrulnik.