J'ai toujours vécu avec des chiens de chasse et dès le plus jeune âge, je n'attendais qu'une seule chose, avoir mon propre chien, comme mon père. Ce vœu fut exaucé avec l'achat d'un braque allemand qui fut emporté deux mois plus tard, à mon grand désarroi, par la maladie de Carré. On n'oublie jamais une blessure d'enfant, un premier attachement, d'autant plus qu'il commençait à vraiment bien se comporter.
A cette époque mon père travaillait avec un bâtard, Bayon né d'un croisement entre un père drathar et une mère labrador. Dressé pour le rapport, il avait l'endurance et le tempérament du géniteur, le nez, la passion de l'eau et le côté affectueux de la lice. Lui aussi avait été contaminé, mais s'en était sorti miraculeusement.
Comme particularité, il aimait bien, de temps à autre, s'échapper pour fuguer souvent plus d'une semaine, avant d'entrer systématiquement dans un bistrot à bout de force, à une vingtaine de kilomètres de Diebolsheim. Il a toujours su trouver une âme charitable et se faire retrouver par le bouche à oreille. Sa meilleure performance a été de pousser jusqu'à Vogelgrün, allez savoir comment il a pu aller aussi loin. Il a aussi réussi l'exploit de rentrer en bus de la CTS de l'époque, à partir de Marckolsheim, où il avait pris l'arrêt, reconnu par le chauffeur...Pouvait-il en être autrement, ce chien m'avait marqué à plus d'un titre, mais surtout par la qualité de son travail et son comportement social.
Evidemment, quand en bon bâtard, il est allé transmettre ses gènes exceptionnels avec une belle golden du Comte, l'occasion était donnée pour, enfin, avoir mon chien. C'est ainsi qu'Enon est entré dans ma vie et que je suis devenu avec un autre garde, spécialiste de la recherche des faisans blessés en battues. Placés à deux trois cent mètres derrière la ligne des tireurs, notre travail consistait à repérer les faisans blessés en vol, localiser leurs points de chute et en fin de battue conduire les chiens. La capacité au marking de mon chien hérité de sa mère faisait merveille. Avec le métier, Enon était connu de tous les invités, car il avait par ses recherches le don de faire basculer en faveur ou défaveur, les paris pris par les chasseurs, sur le score des battues. Rien n'était enregistré tant que notre "couple" n'était pas encore revenu au tableau. Récupérer jusqu'à vingt coqs n'étaient pas chose rare. Pour qui sait ce que peut faire un faisan désailé, la performance était de choix. C'est de cette époque que j'ai gardé le refus de laisser un gibier blessé, s'il y avait une chance de le trouver. Aujourd'hui, rares sont encore les chasses qui prennent le temps de laisser travailler les chiens aussi longtemps qu'il le faut, quand il y a encore des chiens.
Côté anecdote, elles sont nombreuses, la plus drôle étant certainement le souvenir de la tête du Président Valery Giscard d'Estaing, lorsqu'il apprit de la bouche de ma femme qu'Enon n'était pas pur labrador. Il envisageait de le faire saillir sa labrador de l'époque, mais l'absence de pedigree empêcha hélas mon brave Enon de connaître la chienne du Président et l'Elysée.
Enon est resté au domaine quand la vie m'a conduit vers un autre monde professionnel que celui de la chasse. J'ai toujours gardé jusqu'à sa fin un sentiment d'abandon envers lui alors qu'il ne le méritait pas. Le relais fut pris par Axel, un KLM, un Kleiner Muensterlaender, un cadeau d'une amie de mon épouse, par provocation de ses parents qui avait toujours refusé la venue d'un chien dans la famille. C'est ainsi que j'ai découvert le "tout terrain" des chiens de chasse. Il faut dire qu'Axel était de pure souche allemande du côté de Dortmund, avec un "Wesen" très marqué. N'avait-il pas osé "croquer" le doigt du Comte, venu lui dire bonjour, alors qu'en principe aucun chien ne lui résistait !
Cette période m'a aussi appris à vivre au quotidien avec un chien familier, d'abord en couple puis avec les deux enfants. Après sa belle vie, nous sommes restés plus d'une dizaine d'années sans chiens, n'étant plus dans le monde de la chasse. Le retour s'est fait par les enfants demandeurs d'un chien qui forcément ne pouvait être que de chasse. Un peu de hasard et de la négociation ont amené au final les enfants à opter pour une golden retriever.
Très vite, nous avons compris ce que signifiait avoir un chien de chasse sans capacité à le faire chasser ou du moins à le faire travailler en pleine nature. Lassé de tomber sur "le chasseur" à la moindre sortie d'entraînement au rapport, il me fallait trouver un terrain pour rester conforme à nos choix et convictions. Un chien de chasse est fait, "produit" pour travailler et non pour garnir uniquement la moquette ou servir de faire valoir ou de jouet aux enfants. Le hasard a alors bien fait les choses, André un vieil ami de mes parents détenait une part de chasse de petit gibier, dont, pour raison de santé il voulait se défaire.
C'est de cette manière que j'ai débarqué à Betschdorf et repris contact, par la force des choses, avec le milieu de la chasse. Quand j'ai fait le choix de vie de ne pas succéder à mon père auprès du Comte, j'avais quitté la chasse comme organisateur, guide et surtout comme "serviteur" de la chasse avec une formation très forte à l'éthique entre l'éducation de mon père et l'exemple du Comte J. de Beaumont. C'était mon milieu, voire ma bulle qui m'avait donné une vision relativement fermée ou protégée du monde cynégétique. Aussi, quand j'ai découvert le milieu local, le choc a été plutôt rude. Je retrouvais peu l'art de la chasse, le respect du gibier, l'organisation millimétrée des journées de chasse et découvrais par contre les rivalités, les petits espaces, la chasse de tir, la chasse marchande. Ce n'est donc pas par hasard non plus que j'ai fini par participer ultérieurement au travail de l'Union Cynégétique d'Alsace, connue pour mettre au grand jour tout dysfonctionnement du milieu; tout s'explique...
Côté chien, à notre première Golden, Izzy, top modèle d'un ouvrage consacré au golden par Jean-Louis Klein et Marie-Luce Hubert, se sont succédées Purdey, un des premiers chiots golden importé d'Angletterre par Kathy et Gérard Sonntag, bien connus dans le milieu des éleveurs et enfin Tendy et Tairy, la dernière étant à nouveau une KLM venue du Bade-Wurtemberg. Pas évident de vivre et chasser avec quatre chiens, mais les bons côtés l'emportent toujours sur les mauvais.
Au rayon des anecdotes, en dehors de la prestation des trois golden à l'Opéra du Rhin pour le spectacle de danse Gisèle, c'est l'accident de chasse de Purdey qui reste un mauvais souvenir, cette fois. Non seulement, il m'a fait douter encore un peu plus de l'homme vertueux, mais il a éloigné définitivement ma tendre épouse du milieu. "Paudell Pure Delight" de son vrai nom était une chasseuse, mais aussi une tête de mule qui connaissait chaque coin et recoin du territoire. Rien d'étonnant qu'à une chasse aux lièvres, elle soit sortie du collier pour aller faire les labours, faisant fi du maître et du rappel. Qu'à cela ne tienne ce n'est pas elle, flegme anglais oblige, qui allait faire cavaler un lièvre, aussi je l'ai laissé vivre sa chasse entre les postés au loin et la ligne des traqueurs. Le terrain étant vallonné, je ne pouvais l'apercevoir quand ont retenti plusieurs coups de fusil. Je l'ai seulement revue à quatre cent mètres avec un lièvre au rapport. Ne cessant de le lâcher, j'ai fini par aller à sa rencontre pour constater qu'elle avait l'œil droit ensanglanté. Elle avait pris une giclée de plombs sur tout le corps, comme l'a fait ressortir la radio par la suite. De fait, au moment du passage du lièvre devant la ligne, elle était arrêtée en travers, la tête tournée vers les chasseurs. Le terrain était totalement découvert et la chienne était blanche...
Plusieurs chasseurs avaient tirés, mais personne n'avait voulu endosser la responsabilité du tir fatal. Aujourd'hui, quand je vois souvent le peu d'attention portée par les chasseurs en action à l'auxiliaire de chasse de l'homme, je pense toujours à ma borgne, victime d'un manque de retenue. Mais que serions-nous sans nos chiens ou ceux qui font encore l'effort d'en tenir ? Pourtant, si on regarde un peu autour de soi, nos chasseurs, en particulier de petit gibier, chassent de moins en moins avec un chien, digne de ce nom.
Pour moi, tenir un "chien apte à la chasse" devrait être une obligation pour être adjudicataire. Mais voilà, les contraintes sont aujourd'hui davantage prises en compte par le chasseur-zappeur que le bonheur de vivre une aventure faite de partage et de complicité avec son chien. Ceux qui restent sont par contre en principe des passionnés, bien trop rares.
Sur ce point, nos voisins allemands sont beaucoup plus rigoureux, tout comme d'ailleurs sur l'élevage. Pourquoi ne pas s'en inspirer, à l'heure où l'on met tant en avant l'image du chasseur responsable et respectueux du bien être des animaux ? Lever-tirer du gibier peut être fait par des traqueurs, le retrouver restera toujours le domaine du chien. Contrairement à l'affirmation de l'exercice de diction bien connu, "un chasseur sachant chasser sans son chien", n'est pas un bon chasseur, même si c'est la plus fine gâchette.
« Les chasseurs n'ont que les chiens qu'ils méritent ».